Alain Blondy
¦
Malte :
deux petites îles[i]
situées à quatre-vingt dix kilomètres au sud de la Sicile, au milieu du passage
entre les deux bassins de la Méditerranée. Au dix-huitième siècle, l’archipel, qui
appartenait au roi de Sicile, était confiée à l’Ordre des Hospitaliers de St
Jean de Jérusalem[ii]
qui, depuis 1530[iii],
en avait la propriété usufruitière[iv].
L’osmose entre l’Ordre et l’île avait été lente, et il restait bien des pans de
la société qui gardaient leurs distances à l’égard des Chevaliers.
En effet, dès
son installation, l’Ordre avait décidé qu’aucun noble maltais ne pourrait y
entrer, de crainte qu’une collusion familiale fît perdre son caractère
international à la milice sacrée. Cette noblesse, le plus souvent étroitement
liée à la Couronne de Sicile, vivait dans la vieille capitale – Citta
Vecchia ou Citta Notabile –, au centre de l’île[v].
La
bourgeoisie maltaise était plus diverse. Il y avait d’abord celle qui était
maltaise de longue date et qui, grâce à sa maîtrise du droit, faisait carrière
dans ou à côté de l’Ordre : elle fournissait la pléthore d’avocats, de
juges, d’auditeurs qui peuplait les multiples tribunaux de Malte -tribunaux
civils, tribunaux de l’Ordre, tribunal épiscopal, tribunal de l’Inquisition[vi]-
et tous les services administratifs de la Religion. Cette bourgeoisie, en
raison de l’usage de l’italien comme langue judiciaire, était, elle aussi, très
proche de la Sicile et de Naples, dont elle suivait l’évolution des idées. Au
dix-huitième siècle, l’influence des Lumières, le régalisme de Tanucci[vii]
ou la réaction particulariste de la Sicile[viii],
imprégnaient cette bourgeoisie qui n’hésitait pas à contourner l’interdit dont
les Maltais étaient l’objet, en faisant entrer leur fils dans l’Ordre, par le
biais d’une ordination comme chapelain conventuel[ix]. Il
y avait ensuite celle qui n’était installée à Malte que depuis peu. Elle
résidait dans la zone du Grand Port, autour de La Valette[x]
qui était la capitale de l’Ordre et où se concentraient toutes les activités
économiques et politiques[xi]. Il
y avait quelques familles d’origine sicilienne ou catalane, mais le plus grand
nombre était d’origine provençalo-marseillaise. C’étaient des fils ou des
parents des grandes familles d’armateurs ou de négociants qui profitaient de
l’évolution de Malte depuis 1723[xii], et
qui avaient contribué à en faire le plus grand entrepôt méditerranéen de
revente des marchandises venant du Levant ou des Régences barbaresques[xiii].
Parfaitement francophones, usant aisément de l’italien, ces bourgeois du port
représentaient l’élément le plus riche et le plus dynamique de l’île. Eux non
plus, n’hésitaient pas à "noyauter" l’Ordre, en y faisant entrer
certains de leurs enfants comme chapelains conventuels[xiv].
Les idées venues de France ne leur étaient pas étrangères et, si beaucoup se
limitaient à leurs activités économiques, certains n’hésitaient pas à embrasser
les nouvelles modes intellectuelles et philosophiques[xv].
Ils marquèrent suffisamment cette zone portuaire, pour attirer parfois certains
éléments moins fortunés d’une "classe moyenne" de gens du port, de
marins, de soldats, là encore originaires le plus souvent des côtes provençales
ou languedociennes.
Le peuple des
campagnes, vivant dans des casaux de dimensions limitées, mais qui, sous
l’effort des grands maîtres et principalement d’Anton Manoel de Vilhena[xvi],
s’étaient modernisés en se “parochialisant”[xvii],
était à l’écart de toute cette vie. Parlant le maltais, langue
arabo-sicilienne, se louant comme marins ou s’échinant à faire pousser un peu
de coton et quelques légumes dans des champs de pierraille, ces petites gens
étaient entièrement soumises à leurs prêtres paroissiaux, souvent issus de
leurs rangs et guère plus instruits qu’elles[xviii].
C’étaient en
tout, quelques quatre-vingt dix mille personnes -dont quarante mille vivant
dans la zone portuaire et trois mille dans celle de la vieille capitale-
soumises à l’autorité d’à peine cinq cents chevaliers[xix]
qui avaient choisi de résider à Malte. Ces derniers étaient partagés en deux catégories.
Il y avait d’abord tous ceux qui étaient appelés par le Grand Maître à occuper,
de par leur rang et leur dignité, les postes officiels du gouvernement des
Langues[xx]
et de l’Ordre. Ils étaient tous baillis ou commandeurs[xxi],
hommes mûrs ou âgés, nantis de bons revenus, qui se délectaient des intrigues
du pouvoir dans un microcosme aux portes de l’Afrique. A l’opposé, il y avait,
à côté d’eux, tous ceux qui commençaient leur cursus honorum,
soit avant leur majorité -seize ans-, en étant pages[xxii]
du Grand maître, soit définitivement admis, mais devant effectuer leur
obligation de caravane pour prétendre avoir une carrière[xxiii].
C’étaient de jeunes ou de très jeunes gens, à l’âge des passions de Chérubin, cadets
de noblesse que leurs parents avaient fait moine-chevaliers et qui avaient
tendance à confondre chasteté et célibat[xxiv].
Cette population aristocratique était normalement d’origine géographique
variée, mais le poids des Langues et des nations était en fait très inégal. Il
n’y avait plus d’Anglais depuis le schisme d’Henry VIII. Les Allemands étaient
peu nombreux. Les Italiens l’étaient davantage, mais ne résidaient guère, ne
venant à Malte que par obligation et retournant rapidement dans leur pays, somme
toute voisin. Il restait les Ibériques et les Français. De 1720 à 1797, sept
grands maîtres régnèrent : un Italien (deux ans seulement), un Français
(1775-1797), mais trois Espagnols et deux Portugais dont un, Pinto, de 1741 à
1773. En apparence, le pouvoir appartint longtemps à une camarilla
hispano-portugaise, mais en réalité, le poids de la Cour de Versailles qui
avait transformé Malte en un véritable protectorat, joint à celui des trois
Langues de France, fit que l’importance des Français était extrême. Pour
simplifier, l’on peut dire que les dignitaires de l’Ordre à Malte étaient
principalement des Ibériques, proches des Grands maîtres, et ensuite des
Français, qui, le plus souvent, jouaient le rôle d’opposants[xxv].
Quant aux jeunes Chevaliers, ils n’étaient guère plus mélangés, mais les jeunes
Français dominaient, ils étaient suivis par les Italiens –principalement
Vénitiens ou Napolitains-.
L’influence
culturelle à Malte eut donc des origines multiples qui varièrent aussi dans le
temps. Les plus anciens, marqués par la culture de leur jeunesse, avaient
grandi dans les débats contre l’absolutisme, les jésuites ou le jansénisme. Les
plus jeunes, appartenaient à une tranche d’âge où les idées des Lumières et des
Philosophes étaient, sinon tenues pour acquises, du moins banalisées, ayant
perdu de leur soufre et de leur enthousiasme. Mais à côté des modes
intellectuelles, il y avait, surtout chez la jeunesse, un goût pour les
plaisirs insouciants. A Naples, les conservatoires et le San Carlo avaient
lancé la mode de la musique baroque, puis, le San Ferdinando, royaume de l’opera
buffa, les avait détrônés, tandis qu’à Versailles, la reine jouait la
comédie. Les engouements du continent ne furent pas étrangers à Malte, mais ils
venaient s’y échouer par vagues : ceux qui n’y faisaient que passer, y
apportaient la mode, fugace et futile, éminemment mouvante ; ceux qui s’y
installaient, y acclimataient leurs engagements, mais ils y fossilisaient des
débats d’idées souvent dépassés dans leur royaume d’origine. Ce décalage
chronologique était encore accentué par le phénomène d’insularité, et même de
“micro-insularité” : Malte, plus que toutes les autres îles, était un radeau
porteur de grandes idées d’aventure -la croisade, la lutte de l’Occident
chrétien, la chevalerie-, mais qui demeurait arrimé à la médiocrité de la
réalité humaine -brigue électorale, intérêts politiques des états, recherche d’avantages matériels,
crispation nobiliaire-.
La vie
intellectuelle et mondaine à Malte n’était donc pas desservie par la nature
religieuse de l’Ordre.
En ce qui
concernait la vie intellectuelle, certains Chevaliers avaient leur propre
bibliothèque et, très souvent, ils l’augmentaient d’ouvrages à la mode dont ils
avaient connaissance par la presse. Il n’y avait aucun cabinet de lecture à
Malte, mais la spécificité de leurs confrères chapelains conventuels, souvent
parents de négociants parisiens ou marseillais, en faisait les intermédiaires
tout trouvés pour les abonnements aux journaux ou les envois de livres. Cette
démarche individuelle servait, ensuite, à la collectivité. En effet, les
Chevaliers étant des moines, leurs biens, à leur décès, appartenaient à l’Ordre[xxvi]
et leurs livres venaient abonder le fonds public. Celui-ci, créé dès 1612, fut
largement pourvu, d’abord par l’achat de la bibliothèque de près de 3500
volumes[xxvii]
du cardinal Portocarrero qui fit de l’Ordre son légataire universel ;
ensuite et surtout, grâce au bailli[xxviii]
qui, à sa mort en 1776, laissa 9700 volumes à la bibliothèque. L’Ordre décida
alors d’édifier une bibliothèque publique à La Valette, confiant les travaux
qui durèrent de 1786 à 1796, à l’architecte Stephano Ittard. Le système
d’agrandissement du fonds le rendit intéressant. En effet, abondé par des fonds
privés, il reflétait le goût des propriétaires initiaux qui avaient pu, pour
diverses raisons, passer outre aux interdictions de la censure[xxix].
Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, le domaine des idées n’était
pas le favori des Chevaliers. On y trouvait Muratori, Pope, Locke, Dalembert,
Diderot, Voltaire, Rousseau, mais singulièrement l’intérêt des Chevaliers était
ailleurs. Dominaient, en effet, les ouvrages savants de l’Antiquité, les
classiques italiens -Boccace, le Tasse- ou français -Boileau, La Fontaine,
Voiture, Madame Deshoulières-, les dictionnaires à la fois encyclopédiques
-Dictionnaire de Trévoux ou de l’Académie française, dictionnaires de Bayle, de
Richelet ou de Ménage- et lexicaux -turc, arabe, chaldéen, hébreu-, et,
principalement, les ouvrages de voyage, en Amérique[xxx],
mais surtout en Orient[xxxi]. A
côté de cela, on trouvait les romans et nouvelles[xxxii],
et, surtout, les pièces de théâtre qui, en revanche, suivaient la mode[xxxiii].
Car, si le
théâtre était interdit au Clergé, singulièrement les Statuts de l’Ordre ne le
prohibait pas. Jusqu’au début du dix-huitième siècle, les Chevaliers jouaient
eux-mêmes le répertoire, soit dans le palais du Grand Maître, soit dans leur
Auberge. Vilhena fit édifier un théâtre[xxxiv],
“pour l’honnête divertissement du peuple”, et, le 19 janvier 1732, eut
lieu la première représentation, les Chevaliers italiens jouant la Merope
de Maffei. Le 21, les Chevaliers français leur répondirent en présentant le Joueur
de Régnard. Outre les pièces, où les Chevaliers étaient les acteurs, la mode du
lyrique napolitain passa très vite le détroit. Ainsi, Malte put entendre, une
année seulement après la première, les opéras Vologese, re dei Parti de
Rinaldo di Capua, Farnace de Leo et Sallustia de Pergolèse.
L’engouement pour l’opera buffa, lancé par le goût prononcé du roi
Ferdinand IV pour ce genre peu sérieux qu’il pouvait comprendre, saisit
rapidement Malte. A la fin du siècle, les compositeurs napolitains régnaient
comme dans tout le reste de l’Europe : Piccini, Galuppi, Cimarosa,
Paisiello. Ce fut dans cette atmosphère que l’un des fils du correspondant
maltais de la chambre de commerce de Marseille, Nicol Isouard-Xuereb, partit
étudier la musique à Paris, à l’Institut Berthaud. De retour à Malte, il devint
assistant organiste, puis, impressionné par les idées de la Révolution, arriva
à Paris en 1800, où il fit une brillante carrière sous le nom de Nicolo de
Malte, ou Nicolo[xxxv],
apportant à la scène parisienne de l’Empire, le style de l’opera buffa
qui devint l’opéra comique. Car la musique n’était pas que du ressort public.
Lorsque l’inspecteur du commerce et futur ministre révolutionnaire, Roland de
la Platière, vint en visite à Malte, il écrivit à celle qui allait devenir sa
célèbre épouse :
“Les
jeunes gens vont dans les maisons parce qu’on y reçoit généralement les
Chevaliers […] ; on y cause, on y danse et l’on y fait beaucoup de
musique. Celle de M. Isouard en est une et sa femme est une des belles de la
ville”[xxxvi].
Les femmes.
Tout comme pour le théâtre, le monde des Chevaliers n’y était pas insensible.
Il y avait les femmes appartenant aux classes sociales élevées, noblesse ou
bourgeoisie, qui suivaient la mode européenne, principalement parisienne, ne
concédant à la mode locale qu’une ample mantille blanche qui leur couvrait les
cheveux et les épaules. Parfois, sagement ou moins, elles empruntaient aux
femmes du peuple une sorte de pèlerine d’étoffe noire, baleinée, la faldetta,
qui enveloppait la tête et le corps au point que beaucoup n’hésitaient pas à
sortir en jupon sous ce cache. Car la coquetterie des Maltaises était en effet
connue et la légèreté de leurs mœurs fut bien souvent dénoncée. Mais vers la
fin du siècle, elles furent moins incriminées que les Chevaliers, accusés
d’assouvir leurs vices en contrepartie d’une aide financière ou d’un emploi
pour l’époux ou un parent[xxxvii].
En tout état de cause, les mœurs maltaises étaient généralement peu raffinées.
Le peuple, en particulier, n’était pas très regardant sur la morale, les
prêtres étaient assez coulants et les procès de l’Inquisition ne s’attachaient
qu’aux cas très graves[xxxviii].
Les amusements étaient solidement ruraux : processions religieuses d’une
théâtralité hispanisante, fêtes de St Grégoire dans le village Zejtun et de
SSTs Pierre et Paul (L-Imanrija)[xxxix]
dans la forêt du Buskett, festivités du Carnaval se terminant par la Cocagne,
où la société des Chevaliers s’amusait à voir les gens du peuple se battre pour
récupérer victuailles ou boissons[xl].
Pourtant de
cette gangue, émergeaient des individualités fortes qui brillèrent dans le
domaine de l’esprit, des lettres ou des sciences. Deux furent des mauvais
sujets, mais leur génie fut indéniable. Tous deux étaient des prêtres
conventuels. Le premier était l’abbé Boyer[xli],
docteur en théologie, reçu le 27 janvier 1751 dans le corps des chapelains
conventuels et admis dans la Langue d’Auvergne. Boyer était un sujet
intellectuellement brillant qui vint à Malte au début du règne de Pinto, dans
les années 1750. Le jeune abbé s’attacha au bailli de Saint-Simon qui avait
l’avantage d’être l’ami du cousin de Louis XV, le prince de Conti, Grand Prieur
de France et qui menait grande vie au Temple, avec l’abbé Prévôt comme aumônier[xlii]
et le Chevalier de Grieu comme Receveur[xliii].
Immédiatement, Boyer ne brilla pas par ses vertus. Il eut ainsi l’astuce de
vendre pour deux mille écus de biens d’une dame qui l’avait fait procurateur de
ses affaires ; il contracta ensuite des dettes au nom du Maréchal de
l’Ordre. Poursuivi, il eut alors recours à son protecteur et obtint la cure
d’une église de l’Ordre à Paris qui représentait un bénéfice de trois mille
livres. Mais “ayant
aliéné pour plusieurs années les revenus de son bénéfice et se voyant pressé
par une foule de dettes criardes”[xliv],
soucieux de s’éviter des poursuites scandaleuses, il décida de s’enfuir. Pour ce
faire, il se lia avec un éminent Chevalier, Etienne-François Turgot (1721-1781)[xlv].
C’était un botaniste distingué qui correspondait, à Malte et en Italie, avec
toutes les sommités de cette science. Ses relations familiales et ses
connaissances le firent nommer gouverneur de la Guyane française, en 1763. Il
avait, en effet, réussi à persuader Choiseul que la Guyane serait une
excellente compensation à la perte du Canada et, en bon religieux, il pensa y
intéresser son Ordre. Associé au Chevalier de Menou, il entreprit de décider le
Grand Maître Pinto à l’envoi de Maltais qu’il prédisait prompts à
s’enthousiasmer pour “la beauté du pays, la salubrité de l’air et la
fertilité du sol”[xlvi].
Il était peut-être bon naturaliste, mais sans nul doute piètre géographe. Boyer
comprit là tout l’avantage qu’il pouvait en tirer. Il abandonna son bénéfice,
quitta Paris pour Rochefort et s’associa donc à Turgot qui fut tout d’abord
ébloui par les talents intellectuels de Boyer et lui fit confiance ; mais
le naturel revint au galop et Boyer abusa tellement du crédit du brave
Chevalier que celui-ci rompit avec lui. Boyer, loin de l’Europe et sans
ressources, parcourut alors la Guyane, les îles de Cuba et de Saint-Domingue,
faisant croire qu’il était député par l’Ordre, avec l’appui du gouvernement
français, pour y créer une nouvelle Langue, réservée à la noblesse des
Amériques. Il profita si bien de la situation qu’il dut à nouveau s’enfuir,
poursuivi par de nombreux créanciers[xlvii].
Il revint alors sur le Vieux continent où il accumula les dettes et fut cité au
tribunal de Malte. Là, les preuves de ses escroqueries étant formelles, le
Grand Maître le fit déférer, le 9 janvier 1771, devant une commission de
chevaliers de la Langue d’Auvergne, chargée de le juger. Cependant Boyer eut l’intelligence
de reconnaître ses délits et de demander miséricorde ; aussi ne fut-il
condamné qu’à la simple privation de l’habit. Rendu à l’état de laïc[xlviii],
il ne lui restait plus qu’à trouver des moyens pour vivre. Il se savait un beau
brin de plume et entreprit d’en vivre, notamment en rédigeant un intéressant
journal des événements de Malte dont il fit destinataire le Bailli de Breteuil,
ambassadeur de l’Ordre à Rome[xlix].
L’autre
conventuel, l’abbé Giuseppe Vella était Maltais. Chargé, en 1782, par le
vice-roi de Sicile, Domenico Caracciolo, de guider à Palerme l’ambassadeur du
roi du Maroc, il annonça sa découverte d’un manuscrit sur l’histoire de la
Sicile pendant la domination musulmane[l]. Face
à l’enthousiasme, il accepta d’en donner une traduction en six volumes,
financée par le roi, le Codice diplomatico, qui parut entre 1789 et
1792. Fier de ce succès, il annonça une nouvelle découverte et la publication,
en 1793, du Libro del Consiglio d’Egitto, traduction de la
correspondance entre les premiers Hauteville de Sicile et le calife du Caire.
Ces textes venaient à point pour appuyer les thèses de la monarchie contre les
prétentions des barons siciliens. Mais, en 1794, face à l’extension de la
Révolution française, la politique royale changea complètement, et Ferdinand
IV, cédant à la noblesse sicilienne, ordonna que les textes fussent soumis à
l’analyse de l’orientaliste Hager qui conclut au faux et à la supercherie.
Après avoir été l’homme de la situation, Vella fut condamné à quinze ans de
prison.
Mais tous les
érudits de Malte ne sentaient pas le soufre. Il y eut, parmi la noblesse
maltaise, le comte Jean-Antoine Ciantar (1696-1778), correspondant de nombreux
académiciens italiens -Muratori, Mongitore-, et qui devint à son tour membre
libre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1745. Auteur de
pièces de circonstances, liées aux événements des Cours, il soutint une ardente
controverse sur le lieu du naufrage de St Paul, publia et augmenta l’ouvrage de
son ancêtre, le commandeur Abela, sous le titre Malta illustrata, ovvero
Descrizione di Malta (1772/1780), y soutenant que le maltais dérivait de
l’arabe et non du phénicien. Il avait en effet contribué à la découverte de
l’alphabet de cette langue par l’abbé Barthélémy, en lui envoyant deux cippes
inscrits en grec et en phénicien[li]. Un
de ses contemporains, le chanoine Agius de Soldanis (1702-1760), membre lui
aussi de nombreuses académies italiennes, était un épistolier prolixe. La
botanique, la zoologie, l’Antiquité l’intéressaient mais il se spécialisa
surtout dans l’étude du malais, qu’il tenait, lui, pour une forme de punique[lii].
Ces recherches en linguistique furent poursuivies et menées à meilleur terme
par Mikiel-Anton Vassalli (1764-1829). Nous ne nous attarderons pas sur
l’aspect politique controversé du personnage qui fait figure aujourd’hui à
Malte de héros national et de père du nationalisme ; en revanche, il fut
le premier à donner une grammaire scientifique du maltais[liii]
que remarqua Sylvestre de Sacy[liv].
Mais la scène
intellectuelle de Malte était aussi tenue, de près ou de loin, par des
Chevaliers. Le Chevalier François-Zacharie de Quinsonas (1719-1759) fut l’un
d’eux. Celui dont le pseudonyme était Momus, séjourna à Malte entre 1735
et 1743, puis dans les dernières années de sa vie. Celui que Voltaire traitait
de “vertueux, sage, docte
poète et traîneur de sabre et bougre”[lv], fut
lié d’amitié avec lui. Quinsonas donna, la même année que Voltaire (1745), un
poème épique, La Capitolade, qui était “un poème fantaisiste, parodie
de la bataille de Fontenoy”[lvi] de
ce dernier.
Le Chevalier
Claude Robin de la Tremblaye (1735-1807), s’il ne résida pas de façon
permanente à Malte, y passa quelques années de sa vie, notamment à l’occasion
de la citation de 1761[lvii].
Ce fut alors qu’il entreprit un voyage, d’abord pour s’y rendre, puis pour en
revenir, traversant la France, l’Italie et la Suisse, en compagnie du Prince
Camille de Rohan[lviii],
avec qui il rendit visite à Voltaire. Le patriarche de Ferney écrivit, le 28
août 1764 : “Nous avons eu M. de la Tremblay, qui fait de fort jolies
choses, et M. le prince Camille qui en sait le prix” ; le Chevalier,
admis à voir, selon ses dires, “le phénix des hommes”, baisa la plume du
philosophe qui composa pour lui un quatrain. Le jeune homme n’en put plus[lix],
jusqu’à ce qu’il découvrît le même quatrain publié et dédié au chevalier de
Boufflers. Cet épisode fut peut-être le déclencheur de la veine littéraire et
philosophique du Chevalier qui publia d’abord Sur quelques contrées de
l’Europe ou lettre du chevalier de *** à Madame la Comtesse de *** (1788),
et donna, peu avant sa mort, une histoire de France et d’Angleterre qui fut
publiée, en 1808 sous le titre Œuvres posthumes de M. le chevalier de la Tremblaye,
contenant diverses poésies et des lettres sur l’histoire de France et
d’Angleterre. Dans ses ouvrages, le Chevalier, semblable à quelques-uns de
ses confrères à Paris ou à Malte, développa largement l’idée de liberté et
dénonça la soumission aux pouvoirs tyranniques issus de l’absolutisme et de
l’obscurantisme religieux. Un autre Chevalier occupa, avec des bonheurs
variables, la scène de Malte, Déodat de Dolomieu[lx].
Géologue émérite, en l’honneur de qui l’on baptisa les Dolomites, il arriva à
Malte à 18 ans. Condamné à la prison à vie pour avoir tué un de ses camarades
en duel, il n’y passa que neuf mois et suivit le prince Camille de Rohan dans
son ambassade au Portugal. Toute sa vie, il aima son Ordre et détesta le
Couvent : Malte, cet “enfer”, ce “triste pays”[lxi],
était pour lui l’endroit où se retrouvait tout ce que la Religion comptait
d’ambitions mesquines, de médiocres prétendants au pouvoir absolu, et de vices
affichés sous le masque de la vertu. Toute sa vie fut donc un aller et retour
incessant entre ce Couvent où il savait qu’il pouvait briller par ses talents
et ses fuites pour la quiétude de son cabinet ou des voyages scientifiques dont
le dernier sera celui d’égypte,
dans les bagages de Bonaparte. Il fut aussi, sans doute, plus que cela et son
rôle d’opposant à la politique de ceux qui détenaient le pouvoir dans le dos de
Rohan, semble avoir été coordonné par ce que les Cours de Versailles, Madrid et
Naples, comptait de partisans des Lumières et d’opposants à la reine
Marie-Caroline de Naples. Il s’intéressa à la science ; non seulement à la
géologie, mais aussi à l’astronomie, faisant part à Lalande de son intention
d’installer un observatoire à Malte. Le commerce ne lui fut pas étranger et il
envisagea de développer celui des agrumes maltais. Bonaparte l’emmena avec lui,
mais il quitta Alexandrie le 7 mars 1799. Ayant fait naufrage à Tarente, il fut
livré à sa vieille ennemie la reine de Naples qui lui fit subir une
incarcération des plus rudes. Il fut alors sans doute le premier savant pour
lequel ses confrères de tous les pays intervinrent pour demander la libération,
neuf mois avant sa mort.
La scène
culturelle de Malte était donc multiple. On y côtoyait des savants véritables,
en relation avec les sommités des académies des autres pays, des Chevaliers
intellectuels, musiciens ou poètes, mais plus encore des gens ouverts à la
culture de divertissement venue de Naples ou de France. Nous n’en avons
mentionné que quelques-uns, plus en illustration de notre propos qu’en
présentation approfondie. Les idées, et notamment celles des Lumières, s’y
étaient installées, mais elles ne concernaient qu’un nombre infime des acteurs
de Malte. En réalité, le microcosme maltais représentait bien ce qu’alors tout
pays connaissait. Malte, ne dérogeait donc pas, et la congrégation de
moines-chevaliers n’apportait aucune différence à ce que l’Europe connaissait
en cette fin d’Ancien Régime. Néanmoins, en étant un espace géographique
réduit, l’île concentrait en une ville minuscule ce qu’on trouvait ailleurs entre
capitale et province. L’intelligence s’y rassemblait, parce que c’était le
chef-lieu d’un état et d’un ordre
prestigieux ; mais parce que c’était une minuscule république
aristocratique à l’extrême limite de l’Europe, la vie futile y était préférée.
Comme l’écrivait Dolomieu : “L’esprit
était à Malte ce que l’or était en Amérique avant l’époque où les Européens en
firent la découverte, c’est-à-dire de nulle valeur, et employé aux usages les
plus communs et même les plus vils”[lxii].
Alain Blondy
Centre de Recherches sur la Littérature des Voyages
Université de Paris IV-Sorbonne
[i] Malte a une superficie de 246 km² et Gozo de 67 km².
[ii] Fondé en 1048 par des marchands de la République d’Amalfi, dont
il porta la croix à huit pointes, cet ordre devint un ordre monastique et
militaire en 1123. Chassé de Terre Sainte, il s’installa d’abord à Chypre, puis
à Rhodes (1308) jusqu’à ce que le sultan Soliman le magnifique conquît cette
île en 1522.
[iii] Chassés de Rhodes, mais avec les honneurs de la guerre, les
Chevaliers, avec à leur tête leur Grand maître, Philippe Villiers de
l’Isle-Adam, errèrent pendant un temps. En 1530, Charles Quint, pour protéger
ses possessions du Maghreb, leur proposa Malte et les inséra ainsi dans son
dispositif contre les Ottomans et, bientôt, contre les Régences barbaresques.
[iv] Charles Quint conserva pour la Couronne la propriété éminente
–ou dominium altum- de l’archipel, ne conférant à l’Ordre que la
propriété vassale –ou dominium bassum-. Entre autres marques de soumission
lige, l’Ordre devait faire, chaque année, l’hommage d’un faucon de chasse à son
suzerain.
[v] Capitale punique, romaine, puis arabe -époque à laquelle elle
fut partagée en deux : la Ville, Mdina, et le faubourg, Rabat-,
elle était aussi le siège épiscopal de l’île.
[vi] L’Inquisiteur, installé dès le seizième siècle pour des raisons
de surveillance de la foi parmi les Chevaliers, n’était plus, au dix-huitième
siècle, que l’ambassadeur du Pape, supérieur religieux de l’Ordre, et son
tribunal ne connaissait guère plus que des causes de mœurs –polygamie,
sorcellerie…-, d’abjuration et, périodiquement de franc-maçonnerie.
[vii] Le marquis Bernardo Tanucci (1698-1783), était un Toscan qui
s’attacha à l’Infant Don Carlos lorsque celui-ci conquit Naples. Devenu Charles
VII de Naples et V de Sicile, il le nomma premier ministre. Il modernisa
l’administration du pays, mais lutta surtout contre le pouvoir de l’église sur deux fronts ; le
premier était le pouvoir pontifical qu’il entendit rogner le plus
possible ; le second était celui de l’
église catholique dans le royaume. Il s’attaqua aussi aux privilèges de
la noblesse. En 1776, la reine Marie-Caroline, aidée du Clergé, le força à se
retirer.
[viii] Voir à ce sujet l’ouvrage de Camilla Maria Cederna, Imposture
littéraire et stratégies politiques : Le Conseil d’égypte, des Lumières siciliennes à
Leonardo Sciascia, Paris, Honoré Champion, 1999.
[ix] L’Ordre était composé de trois catégories de Frères : les
Chevaliers, tous nobles, et qui étaient largement majoritaires ; les chapelains
conventuels, obligatoirement prêtres, et qui étaient chargés de sacrements et
du service divin à terre comme en mer ; enfin, les servants d’armes,
roturiers, en nombre infime, qui, au dix-huitième siècle, étaient surtout
chargés de l’administration dans les grands prieurés, mais pouvaient être aussi
peintres ou architectes officiels.
[x] A la suite du Grand Siège (L-Assedju il-kbir) de 1565, le Verdun
du seizième siècle, au cours duquel mille cinq cents Chevaliers et Maltais
tinrent tête à trente mille Turcs et barbaresques, arrêtant définitivement le
progrès des Ottomans vers l’ouest, le grand maître Jean Parisot de la Valette
(1557-1568) décida la construction d’une nouvelle capitale de l’Ordre, sur la
péninsule la plus élevée du Grand Port. En 1571, Birgù fut abandonnée et
l’Ordre s’installa dans la Cité Nouvelle.
[xi] Voir Michel Fontenay, “Le
développement urbain du port de Malte du seizième au dix-huitième siècle” [in] Revue
du monde musulman et de la Méditerranée, n°71, 1994/1, p.91-108. Le Grand
Port (Il-Marsa il-kbir) était une calanque profonde, très digitée. Sur les
péninsules qui le subdivisaient en abris portuaires secondaires, il y avait,
outre La Valette (Citta Nuova), Birgù (Citta Vittoriosa), Bormla (Citta
Cospicua) et L-Isla (Citta Senglea), appelées plus tard les Trois Cités.
[xii] En 1723, le grand maître portugais Vilhena, profitant de
l’effacement de Marseille dû à la crise de la banque Law et à la peste de 1721,
avait publié une légiuslation douanière très attractive qui frappait lourdement
importations et exportations, mais en revanche, exonérait quasiment de droit
les marchandises entreposées en transit. La renommée du lazaret -la quarantaine
étant désormais obligatoire en Europe- et ces facilités d’entrepôt firent, très
rapidement, de Malte l’un des ports essentiels de la Méditerranée.
[xiii] Voir Alain Blondy, “L’Ordre
de St Jean et l’essor économique de Malte (1530-1798)” [in] Revue du monde
musulman et de la Méditerranée, n°71, 1994/1, p.75-90 et 243-253 ;
Xavier Labat Saint Vincent, Malte et le commerce français au dix-huitième
siècle, thèse de doctorat dactylographiée, université de Paris IV, 2000, 2
vol.
[xiv] Voir Alain Blondy, Parfum de Cour, gourmandise de rois. Le
commerce des oranges entre Malte et la France au dix-huitième siècle, d’après
la correspondance entre Joseph Savoye, épicier à Paris, et son fils, l’abbé
Louis Savoye, chapelain conventuel de l’Ordre de Malte, Paris, Bouchene,
2001.
[xv] Certains étaient francs-maçons, d’autres ne cachaient pas leur
enthousiasme philosophique. Ainsi, dans la famille Isouard, le père, Giacomo,
se fit appeler Jean-Jacques et peindre dans la pose de Rousseau, connue par les
gravures. Son fils, Fortuné, fut un maçon actif, à Marseille comme à Malte. Son
petit-fils, Nicolo (1775-1818), bonapartiste fervent, rentra en France et
devint, à Paris, sous son prénom, le roi de l’opéra comique.
[xvi] Il régna de 1722 à 1736.
[xvii] Le casal, entre hameau et village, en devenant paroisse, attira
une population non agricole qui fut le point de départ du peuplement des zones
rurales de Malte et l’apparition d’une classe moyenne, typiquement maltaise.
[xviii] Voir Frans Ciappara, Mill-Qighan ta’l-istorija ;
il-kappillani fis-seklu tmintax, Malta, Il-Hsieb, 1987. Le taux moyen
d’encadrement presbytéral était d’un prêtre pour soixante dix-huit habitants.
Si dans les villes, il était supérieur – un pour cent à cent
trente –, il était très inférieur dans les campagnes – un pour
cinquante à trente –.
[xix] Voir Stanley Fiorini : “A unique source for seventeenth and eighteenth century
Maltese demography” [in] Melita historica, VIII/4, 1983, p.325-344.
[xx] Le gouvernement central de l’Ordre était dit en Couvent,
c’est-à-dire à Malte. L’Ordre était en outre divisé en huit Langues
-Provence, Auvergne, France, Angleterre, Allemagne, Italie, Castille, Aragon-,
qui avaient une administration dans les ressorts étatiques -les Grands
prieurés- et une administration d’accueil à Malte -les Auberges-.
Les chefs ou Piliers de chaque Auberge avaient une fonction dans
l’Ordre.
[xxi] Lorsqu’un Chevalier avait satisfait à ses obligations, il
pouvait concourir à l’obtention d’une commanderie, domaine appartenant à
l’Ordre dont il était alors chargé de la gestion et de l’entretien. Il en
percevait le revenu dont il ne reversait que 10% au Commun Trésor. L’accès à
une commanderie, puis à une autre de revenu supérieur, se faisait par ordre
d’ancienneté. Certaines commanderies, de rang supérieur, portaient le titre de bailliage
dont le détenteur était, de droit, membre du Conseil de l’Ordre.
[xxii] Les pages étaient choisis parmi les candidats dont les preuves
avaient été retenues -quatre quartiers de noblesse pour chacune des lignes paternelle
et maternelle-, mais qui n’avaient pas l’âge de prononcer leurs vœux.
[xxiii] Le novice, dès lors, qu’il avait prononcé ses vœux perpétuels de
pauvreté, chasteté, obéissance, hospitalité des pauvres et guerre aux
infidèles, devenait Chevalier profès. Il pouvait s’en tenir là s’il ne
souhaitait qu’une pure distinction. En revanche, s’il désirait concourir à l’émutition
des commanderies, il devait effectuer quatre périodes d’instruction navale
-les caravanes- à bord des galères de l’Ordre. Ces caravanes étaient,
outre le point de départ obligé du cursus honorum, une excellente
formation navale qui pouvait aussi permettre une carrière dans les marines
royales -Tourville, Suffren…-
[xxiv] Voir Claire-Eliane Engel, “Le
Chevalier de Malte, type littéraire au dix-huitième siècle” [in] Revue des
Sciences Humaines, septembre 1953, p.215-229.
[xxv] Voir Alain Blondy, L’Ordre de Malte au dix-huitième siècle.
Des dernières splendeurs à la ruine, Paris, Bouchene, 2001.
[xxvi] Ils ne pouvaient disposer en faveur de tiers que du cinquième de
leurs dépouilles, le quint, dont les livres étaient absolument
exclus. Tout Chevalier se devait, régulièrement, d’établir un état de ses biens
-le dépropriement- et, lorsqu’il sentait sa mort prochaine, il devait
tester, indiquant la totalité de ses biens -les dépouilles- et les
destinataires du quint disponible. Ces documents, conservés aux Archives de
Malte -Spropriamenti et Spoglie- ont été étudiés minutieusement
par Carmen Depasquale, pour sa thèse de doctorat, La vie intellectuelle et
culturelle des Chevaliers français à Malte au dix-huitième siècle,
Université Paris IV, 2000.
[xxvii] Principalement des ouvrages scientifiques et des dictionnaires.
Le catalogue de ce legs est conservé à Malte sous la cote LIBR 264.
[xxviii] Il était le neveu du cardinal Pierre de Tencin, ambassadeur de
France à Rome, mais aussi de la célèbre Madame de Tencin et donc le cousin de
Dalembert.
[xxix] Tencin, dans la préface de son catalogue écrit : “Je n’ai pas exclu quelques livres
défendus, usant de la permission que le Pape m’a donnée de les retenir”, et il ajoute, non sans une certaine hypocrisie
perfide : “c’est du poison qu’il serait dangereux de laisser entre les
mains de tout le monde, mais dont les personnes qui savent en séparer le venin
peuvent en faire bon usage”.
[xxx] Notamment les ouvrages de Frezier (1716), du Père Labat (1724),
de la Contamine (1745), d’Ellis (1749), d’Ulloa (1752), sur l’Amérique du Nord
et l’Amérique latine.
[xxxi] Ce sont les livres de Spon et Wheler sur les Balkans (1678), de
Dapper sur l’Afrique (1687), de l’abbé de Choisy sur le Siam (1687), les
ouvrages de Le Bruyn en Levant (1714) ou en Russie et Perse (1718), de Bernier
en Inde (1724).
[xxxii] Toujours très classiques : La Princesse de Clèves, Les
aventures de Télémaque, Les prophéties de Nostradamus.
[xxxiii] Racine, Corneille, certes, mais aussi Pradon, d’Hauteroche, La
Fosse, Régnard, Gherardi, etc.
[xxxiv] Aujourd’hui Théâtre Manoel, en l’honneur de son fondateur. Il
est dû à l’architecte Romano Carapecchia, servant d’armes de la Langue
d’Italie.
[xxxv] Voir John Azzopardi, Nicolo Isouard de Malte, Malte,
1991.
[xxxvi] Roland de la Platière, Lettres écrites de Suisse, d’Italie,
de Sicile et de Malte par M***, avocat en Parlement, de plusieurs académies de
France et des Arcades de Rome, à Melle** à Paris, en 1776, 1777 et 1778,
Amsterdam, s.n., 1780, 6 vol., t.III, p.77.
[xxxvii] Voir Alain Blondy, “Le
voyage et les aventures de Carasi à Malte, d’après L’Ordre de Malte dévoilé
(1790)” [in] Sophie Linon-Chipon, Valérie Magri-Mourgues et Sarga Moussa,
dirs., Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité,
Publications de la Faculté des Lettres de Nice, n°49, 1998, 229-241. Carasi,
comme d’autres avant lui, dénonçait l’impudicité des Maltaises, excitées par
des Chevaliers débauchés et toujours avec l’assentiment du mari, quand ce
dernier ne devenait pas le giton de quelque conventuel plus dépravé.
[xxxviii] Bigamie, sorcellerie principalement.
[xxxix] Elle avait lieu le 29 juin et correspondait à la fête romaine
des Luminaria liée au solstice d’été.
[xl] Le Grand Maître Pinto organisait, en privé, de semblables
cocagnes auxquelles il accrochait des bijoux et conviait des femmes du peuple in
naturalibus.
[xli] Claude-François Boyer (1733-1790) était le fils de Clément Boyer
(1705-1784), avocat à Besançon et qui était aussi l’agent général de l’Ordre en
Franche-Comté.
[xlii] L’auteur de Manon Lescaut et d’autres ouvrages ayant
l’Ordre pour "décor", avait été reçu par Conti qui lui avait
dit : “L’abbé, je vous préviens, je n’entends jamais la messe”. Et
l’aumônier d’avoir répondu : “cela est parfait, Monseigneur, car je ne
la dis jamais”.
[xliii] Le Chevalier de Grieu fut condamné, pour sa gestion toute “personnelle” du trésor du Grand prieuré de France, à la réclusion à l’abbaye St
Victor, en retraite à vie -Archives nationales, Paris, M 958-.
[xliv] Archives nationales, Paris, M 944, pièce n°179, Dossier
concernant les tracasseries et la conduite de l’abbé Boyer. Selon le
rapport conservé dans les mémoires de l’Inquisiteur de Malte, f° 184 v°, il
emprunta à ses paroissiens, à des parents, à des chevaliers et à d’autres
prêtres conventuels.
[xlv] Il était fils du prévôt des marchands de Paris, Michel-Etienne
Turgot, célèbre pour le plan de la capitale qu’il fit lever et, de ce fait, le
frère d’un président du Parlement de Paris et celui aussi du futur ministre de
Louis XVI.
[xlvi] Archives nationales, Paris, M 1001, f°31, 10 octobre 1762.
[xlvii] Ibid., M 944, pièce n°180, copie d’une reconnaissance de
dette de Boyer à Madame de Langle, en date du 14 mai 1765, à Port-au-Prince,
pour la somme de 1200 livres tournois ou 1800 livres argent d’Amérique, payable
au comptant à son retour de La Havane ou en trois termes égaux de six mois à son
retour en France.
[xlviii] Boyer fut réintégré, mais ses aventures ne s’arrêtèrent pas pour
autant, puisqu’il réussit à faire se fâcher l’impératrice Marie-Thérèse et le
Grand Maître Emmanuel de Rohan.
[xlix] Une édition, par l’auteur de cet article, des lettres de Boyer
est en cours de publication au Ministère des Affaires étrangères –parution
prévue 2001-.
[l] Voir Camilla Maria Cederna, op. cit.
[li] Aujourd’hui dans les collections du Musée du Louvre.
[lii] En 1750, il publia, en italien sa Grammatica Punico-Maltese, puis
en 1765, en français, Dissertation où l’on prouve que la langue que les
habitants de Malte parlent aujourd’hui est l’ancien punique.
[liii] En 1790, il publia Alfabet malti, puis en 1791, Mylten
Phoenico-punicum sive grammatica melitensis.
[liv] Qui rendit régulièrement compte de tous les ouvrages de Vassalli
dans le Journal des Savants.
[lv] La rumeur prétendait qu’il avait eu des relations contre nature
avec Lady Mary Wortley Montagu.
[lvi] François Moureau, Dictionnaire des Lettres françaises. Le
dix-huitième siècle, Paris, Fayard, 1995, p.1081.
[lvii] Il s’agissait de la “mobilisation générale” de tous les Chevaliers lorsque
les Grand Maître et sacré Conseil estimaient le Couvent en danger. En
l’occurrence, on craignait alors une attaque ottomane à la suite de la prise du
vaisseau amiral du Grand Turc.
[lviii] Eugène Hercule Camille de Rohan-Rochefort (1737-1816).
Franc-maçon comme son cousin le Grand maître, il devint, en 1804, le Vénérable
de la loge la Paix. En juin 1790, il avait été nommé ambassadeur de l’Ordre
à Rome. A la Restauration, il dirigea, de fait, ce qui restait de l’Ordre de
Malte en France.
[lix] Dalembert écrivit à Voltaire, le 9 janvier 1765 : “Dites-moi […] ce que vous pensez d’un M. le
chevalier de la Tremblaye qui a été vous voir, qui fait, dit-on, de petits vers
innocents, à qui vous écrivez, à ce qu’on prétend, des lettres qui lui tournent
la tête de vanité”.
Voltaire répondit : “Tout ce que je sais, c’est qu’il doit réussir
auprès des hommes par la douceur des mœurs, et auprès des dames par sa figure”.
[lx] Dieudonné, Sylvain, Guy, Tancrède de Gratet de Dolomieu
(1750-1801). Voir Claire-Eliane Engel, “Déodat de Dolomieu” [in] Revue française, août
1955 , p.11-16 et, surtout, Alfred Lacroix, Déodat Dolomieu, membre de
l’Institut national (1750-1801) ; sa vie aventureuse, sa captivité, ses
œuvres, sa correspondance, Paris, Perrin, 1921, 2 vol.
[lxi] Lacroix, op.cit., t.I, respectivement p.151 -Rome, 28 mai
1786- et p.175 -Malte, 20 janvier 1787-.