L’Amérique latine

entre deux paradigmes : l’évolution de la culture

des voyageurs naturalistes au cours de la

seconde moitié du XVIIIe siècle

 

Cédric Cerruti

 

¦

 

Lors de la seconde moitié du dix-huitième siècle, le voyage de long cours vers le Nouveau Monde substitue la démarche raisonnée des Lumières à la perception traditionnelle du Nouveau Monde. De fait, la recherche des connaissances positives se substitue peu à peu à la quête des mythes, soit par l’application de nouveaux outils aux anciens objectifs, dans une logique de continuité, soit par une remise en question des schèmes culturels. L’intérêt de ce type de voyages réside dans la confrontation entre ces deux approches culturelles. Parmi les voyages sélectionnés, seront privilégiées les grandes entreprises qui, dans leurs intentions et leurs résultats, reflètent le mieux les moyens mis en œuvre dans le domaine de la culture et, plus généralement, dans celui du savoir. Les porteurs de cette culture sont les voyageurs éclairés, et parmi eux l’“élite” naturaliste, mais aussi tous ceux s’intéressant à l’histoire naturelle, d’autant plus nombreux que l’intérêt pour la discipline touche un public plus large que les savants, ce qui amène une grande diversité quant à l’approche culturelle. Aussi, la communauté des “américanistes” -le mot n’apparaît qu’au dix-neuvième siècle- peut se diviser en deux groupes : les voyageurs et les scientifiques. Pour ces derniers, la démarche initiatique qui subsiste, est sans commune mesure avec celle du Grand Tour. Les intentions sont étroitement liées, et certes beaucoup de naturalistes commencent leur formation au voyage par ces “pèlerinages”[i], unique expérience préparant leurs futures conditions d’investigation ; mais contrairement à la plupart de leurs contemporains européens, ils ne suivent pas les chemins, mais les traces de leurs prédécesseurs. En effet, il s’agit le plus souvent de défricher un terrain aux contours imprécis. De fait, la pénétration à l’intérieur du continent constitue l’avancée scientifique la plus remarquable de l’époque. A cet égard, les efforts entrepris par l’Espagne lors du dernier quart du dix-huitième siècle tendent à montrer la primauté qu’acquiert alors la démarche scientifique sur la recherche de richesses plus ou moins légendaires, dans la mesure où les moyens financiers engagés dans ces voyages bénéficient surtout à l’avancée des sciences naturelles et humaines.

D’autre part, le cosmopolitisme des entreprises nous oblige aussi à puiser parmi les circumnavigateurs, pour qui l’étape américaine est essentielle, puisqu’elle fournit des éléments à l’élaboration d’un savoir fondé sur le comparatisme. Par opposition d’abord, l’Amérique hispanique confronte les voyageurs à des espaces mythiques. Grâce à la multiplication des explorations, le dévoilement de l’information scientifique repousse les légendes ; la multiplication du réel s’oppose à celle de l’imaginaire. Il s’agit ensuite d’une multiplication par superposition, puisque la culture des voyageurs leur permet d’élargir leur champ d’analyse. Plus que tout autre, le naturaliste enveloppe le réel par l’ampleur de son regard. Par contradiction enfin, du fait des heurts culturels internes et externes aux voyageurs Autour du laboratoire américain se pose le problème de la diversité des regards.

A défaut de l’exhaustivité, l’exemplarité que l’on peut dégager des récits de voyage servira à esquisser une culture alors en formation. A ce titre, deux étapes jalonnent la seconde moitié du dix-huitième siècle : 1749, lorsque sont divulguées au public les relations de voyage de Jorge Juan et Antonio de Ulloa d’une part, et celle de Bouguer et La Condamine d’autre part ; 1799 ensuite, date à laquelle Alexandre de Humboldt et Aimé Bonpland appareillent pour le nouveau continent. Deux dates significatives de l’évolution de la lecture du Nouveau Monde, entre lesquelles la construction de l’identité latino-américaine renouvelle ses méthodes.

 

 

Découvertes et conquêtes : continuités et ruptures

Les termes d’appropriation de la réalité américaine ne changent pas de Colomb à Humboldt. La filiation est même réaffirmée entre les deux hommes, car Humboldt est consacré “second découvreur de l’Amérique” par ses contemporains. Ce titre signifie aussi l’apogée du voyageur-naturaliste, dont le statut d’observateur et de porte-parole des Lumières est désormais admis[ii]. Il s’agit d’un aspect essentiel de la constitution du savoir américaniste : en intégrant à leur bagage culturel les idées du monde éclairé, les voyageurs prolongent et surtout critiquent les connaissances des savants demeurés en Europe. En effet, une lutte oppose alors les savants “nomades” aux “sédentaires”. Lutte souterraine, émaillant les écrits des deux partis et qui mériterait une étude à part, l’enjeu portant sur la place du voyageur à l’intérieur de l’espace culturel des Lumières. Raynal et Diderot sont les plus véhéments contre les voyageurs de long cours, les ramenant au rang -suprême injure- de “nouvelle espèce de sauvages nomades[iii]. Pour leur part, Bougain-ville et La Pérouse plaident pour une science des faits, contre “l’esprit de système” et les “faiseurs de systèmes qui, au fond de leurs cabinets, tracent la figure des continents & des isles.”[iv] Or, le voyage vers le Nouveau Monde se réclame d’un esprit de découverte hérité du Siècle d’Or. La tradition est invoquée non seulement par les Espagnols[v], mais plus explicitement encore par les nations concurrentes. La découverte de l’Amérique a-t-elle été utile ou nuisible au genre humain ? La question, proposée en 1782 par l’Académie de Lyon d’après une suggestion de Raynal, nous semble significative du fossé qui s’amplifie entre théoriciens et praticiens du Nouveau Monde, pourtant issus du même creuset intellectuel. Les premiers s’accordent pour dire, à la suite de De Pauw et de l’abbé Roubaud, que “la conquête de l’Amérique est la plus affreuse des calamités que l’humanité ait souffertes de la part de l’homme[vi] ; les seconds se placent au-delà de la controverse, se voulant d’abord des vecteurs “d’où peuvent sortir de grands avantages pour l’accroissement des Arts et des Sciences et par suite pour le bien de l’humanité[vii]. Les découvertes et les conquêtes ne sont pas closes, mais s’inscrivent dans la longue histoire des progrès de l’esprit humain. A ce titre, elles obtiennent une nouvelle légitimité culturelle dont se targue Cook à bord du Discovery ou Malaspina naviguant sur la Descubierta. Ici s’affirme aussi la culture des voyageurs par rapport à celle des naturalistes de cabinet. Contrairement à Buffon qui cherche à expliquer les causes de la diversité entre les deux mondes, les premiers sondent les points communs. Humboldt résume cet esprit conquérant :

 

Quel que soit le motif, tout ce qui excite au mouvement, soit erreur, soit prévision vague et instinctive, soit argumentation raisonnée, conduit à étendre la sphère des idées, à ouvrir de nouvelles voies à l’intelligence.[viii]

 

Illustrant ce propos, un militaire britannique en mission en Guyane, Stedman, n’hésite pas à contredire les descriptions de Buffon[ix]. Quant au naturaliste, il est d’abord absorbé par les “trésors” qui s’offrent à lui. Trésors tangibles, non comme ces prétendues montagnes couvertes d’or que George Anson croit avoir aperçu depuis son navire au large du Brésil[x], mais plantes, roches, étoiles. Le terme de trésor naturel revient sans cesse dans la bouche des voyageurs qui s’usent à inventorier des richesses désormais rendues accessibles à l’esprit scientifique. A Montevideo, en 1767, Commerson commente ainsi la multitude à embrasser :

 

Je n’ai pas laissé de faire une ample moisson de plantes, d’oiseaux, de poissons, etc. Je voudrais bien que rien ne put m’échapper mais comment faire, je ne suis ni un Argus ni un Briarée. Une chasse, une pêche, une promenade me mettent dans l’embarras de Midas sous les mains duquel tout devenait de l’or. Je ne sais souvent par où commencer j’en perds le boire et le manger et il faut que le capitaine mon excellent ami pousse les attentions jusqu’au point de ne m’accorder guère de la lumière que jusqu’à minuit, parce qu’il s’est aperçu qu’au détriment de ma santé je dérobais presque toute la nuit à mon sommeil pour pouvoir suffire à l’examen de tout ce qui se présente à moi.”[xi]

 

A l’image de l’aventurier succède peu à peu celle du pèlerin, avec tout le poids initiatique que le mot suggère. En effet, il s’agit presque toujours d’un premier voyage et les instructions, si elles se précisent au fil des années, laissent toute latitude au voyageur, à charge pour lui de revenir muni de la bonne parole[xii]. Encore les instructions concernent-elles seulement la récollection des données ; rien n’est dit ou presque quant aux régions abordées. Aussi le recours aux récits de voyage, ainsi qu’aux auteurs pouvant les familiariser avec le milieu américain, romanciers, essayistes, est une nécessité. Surtout, l’expérience détermine le tempérament ; ainsi d’Aimé Bonpland dont son compagnon décrit le caractère après une année d’exploration :

 

C’est un élève digne de Jussieu, de Desfontaine, de Richard ; il est actif, travailleur, il s’adapte facilement aux mœurs et usages des hommes, parle très bien l’espagnol, et il est courageux et intrépide -en un mot, il a des qualités exquises pour un voyageur naturaliste.”[xiii]

 

En plus de la filiation scientifique, la marche vers l’inconnu rattache profondément les voyageurs à leurs prédécesseurs, qui demeurent les références obligées et font naître un sentiment d’appartenance à la famille des explorateurs. L’initiation n’est pas déterminée par une confrontation à la vie, mais à la survie. L’esprit de sacrifice est une constante de la part d’hommes pourtant non préparés aux dangers de l’exploration, et leur attitude face à la mort ne lasse pas d’étonner. Le courage montré en maintes occasions toucherait presque au “fanatisme” dont parle Raynal, s’il ne s’agissait d’“avoir fait de si grands sacrifices pour avoir voulu le bon”, écrit Humboldt. “Rien ne me préoccupe […] aussi obstinément que de sauver mes manuscrits et mes herbiers”, ajoute-t-il. “Il est très incertain, presque invraisemblable, que nous revenions sains et sauf”, aussi croit-il bon de rédiger son testament scientifique[xiv].

Pèlerin mais aussi missionnaire, témoin et acteur, le voyageur se veut le bras armé des Lumières. Il se rattache évidemment à la tradition de la conquête, mais rompt peu à peu avec l’ordre divin pour adopter celui du progrès. L’attitude culturelle change profondément entre les conclusions de Juan et Ulloa, diffusées jusqu’à l’extrême fin du dix-huitième siècle, et celles de leurs successeurs. En effet, les premiers donnent une vision close de l’Amérique qui contraste avec le cosmopolitisme en expansion : “Aucun monument ne nous apprend avec certitude que l’Amérique a pu avoir avec l’Ancien Monde […] ; et l’on y est aussi étonné, que si l’on était réellement passé dans un autre monde.” De cette particularité, “il n’est pas possible d’en donner la raison, qu’en disant que l’Auteur de la Nature l’a ainsi voulu. Ses secrets seront toujours une énigme pour l’entendement humain.” Le Nouveau Monde est donc coupé de l’ancien, depuis l’époque du déluge supposent-ils[xv].

L’idée d’une rupture originelle ne résiste cependant pas à la systématisation de la séparation entre Dieu, l’homme et la nature qui s’opère durant la seconde moitié du dix-huitième siècle. La conséquence en est la tentative d’identification du Nouveau Monde à l’Ancien, à travers le processus d’homogénéisation des savoirs. Dès l’expédition des limites à l’Orénoque, développée entre 1750 et 1767, une volonté de rattacher les deux continents se fait jour. Surtout, l’idée d’un progrès continu d’est en ouest, annoncé notamment par Adam Smith et concernant le Nord du continent, s’applique-t-elle aussi bientôt au Sud grâce à Humboldt, qui parvient à insérer ce progrès culturel dans un mouvement naturel. La naturalisation des relations sociales amène la mise en place d’un savoir unique certes[xvi], mais aussi la conscience du caractère polycentrique du monde[xvii].

La constitution du savoir entre Europe et Amérique est d’abord le résultat de l’émancipation du voyageur éclairé. Celui-ci parvient à réunir empirisme et raison dans une démarche culturelle renouvelée[xviii]. Les instructions de Volney, parues en 1795, et celles de Gerondo, qui fournit en 1800 le premier questionnaire nommé-ment ethnographique pour l’expédition Baudin, réconcilient définitivement les Idéologues avec les empiristes, le voyageur nouant un contact intellectuel et institutionnel plus étroit avec ses bases. Dès lors, la constitution de ce savoir appelle un va-et-vient permanent entre l’expérience et la mise en système de cette expérience. En participant aux deux étapes du processus, le voyageur acquiert peu à peu un poids intellectuel déterminant dans l’orientation du débat ; de fait, l’émancipation scientifique à laquelle il contribue est aussi la sienne. En s’appropriant un terrain d’étude gigantesque, il transforme de même l’identité du Nouveau Monde qui, de miroir, devient laboratoire. Ainsi des mythes importés d’Europe cédant devant l’exploration, ou au contraire de l’étrangeté de la nature jugée à l’aune du vieux continent. Un “discours de la méthode” s’élabore, visant à unifier les deux mondes[xix].

 

 

La multiplication du réel : des voyageurs et de leur regard

La saisie du réel est d’ailleurs d’essence pluridisciplinaire, et les domaines à couvrir sont tellement vastes que les méthodes analytiques divergent nécessairement. Le laboratoire américain est étudié de deux manières : dans sa globalité, par une approche encyclopédique -c’est la cas pour Malaspina ou Humboldt-, ou selon des problématiques limitées à une demande institutionnelle, englobant généralement l’étude économique[xx]. Concernant cette seconde perspective, rappelons les études “américanistes” avant la lettre menées à bien par les missionnaires. Partagé entre son ministère et l’étude des langues guarani et abipone, le père autrichien Martin Dobrizhoffer publie en 1784, après un séjour de vingt-deux ans au Paraguay, une Historia de Abiponus equestris bellicos aque Paraquariae natione.

La mise en forme des concepts développés permet une première reconstruction du savoir. Les membres de l’expédition Malaspina se munissent de tous les ouvrages nécessaires pour faire de leur bâtiment une “académie flottante” capable non seulement de rassembler, mais encore de traiter l’information et de la confronter aux sources plus anciennes. En ayant à leur disposition un laboratoire et une académie, les scientifiques se voient attribuer une fonction critique prééminente[xxi]. Vérificateur scrupuleux, Humboldt confronte systématiquement ses écrits aux sources, ce qui leur donne un poids sans égal. Le renvoi aux notes, la présence d’un index à la fin de l’Essai politique sur la Nouvelle-Espagne sont autant de preuves de la volonté de construire un discours objectif et raisonné. L’évolution méthodologique transparaît entre l’organisation de l’ouvrage d’Ulloa, divisé en nombreux discours, et celle prévue par Malaspina, comprenant trois parties : relation, état physique et politique des zones abordées[xxii].

Afin de prolonger le regard et d’en gommer les imperfections, on se munit des instruments qui sont placés au centre de l’aventure par La Condamine, et qui permettent la mise en réseau des informations. Humboldt se vante d’ailleurs de surpasser son prédécesseur en apportant sur les cimes des volcans péruviens les moyens de relever “les mesures qu’il était intéressant de connaître”. Ainsi réalise-t-il une périlleuse ascension “pour y porter un électromètre de Volta[xxiii]. Il s’agit véritablement de l’alliance de la passion et de la raison, prouvée encore par Commerson qui, avant de s’extasier face à la nature américaine, rédige un mémoire qui fera école en détaillant les observations d’histoire naturelle à réaliser durant le voyage. Cette “éthique de la précision et de l’exactitude”[xxiv] permet au voyageur éclairé de s’effacer derrière une démarche privilégiant l’expérience déductive au détriment de la tradition imaginaire. En privilégiant la référence au milieu -grâce à l’expérience in vivo- et non plus à son milieu, le voyageur s’émancipe d’une culture de l’“Amérique-miroir” pour s’orienter, grâce à un processus de normalisation, vers celle de l’ “Amérique-laboratoire”.

Il s’agit d’une évolution évidemment contrastée, les cultures se mêlant et se répondant. En 1788, Malaspina évoque “la collecte possible de Curiosités pour le Cabinet Royal et le Jardin Botanique”. Dombey, plus nuancé, parle de “ces sortes de curiosité” que sont les vases péruviens, ou de “choses curieuses” pour des minéraux acquis au Brésil, avant que le terme d’échantillon s’impose dans le récit d’Alexandre de Humboldt[xxv]. Parallèlement, le glissement des cabinets de curiosités vers ceux d’histoire naturelle fait entrer les hommes sauvages dans l’ordre de la nature. Sans être considérées comme porteuses de culture, ces sociétés cessent néanmoins de relever de la curiosité pour devenir un propos d’étude[xxvi]. Elles cessent en même temps d’être le prétexte à une fustigation des normes culturelles européennes. Mais là encore les voyageurs restent parfois prisonniers de leur héritage culturel : “J’ai des os de géants minéralisés ; deux superbes mâchoires et un fémur entier” annonce fièrement Dombey en 1785[xxvii].

Une préoccupation constante concerne en effet les mythes, plongeant souvent leurs racines en Europe, comme c’est le cas pour celui des Amazones. La Condamine se rapproche de cette “république de femmes”, qu’il situe “dans les montagnes au centre de la Guyane et dans un canton ou les Portugais du Pará ni les Français de Cayenne n’ont pas encore pénétré”. Mais, précise-t-il, “cette nation ambulante pourrait bien avoir encore changé de demeure[xxviii]. Un demi-siècle plus tard, Alexandre de Humboldt ne met pas en doute le récit de La Condamine mais, sans pouvoir apporter de preuves, il s’emploie à détruire le mythe[xxix]. Humboldt annihile aussi celui de l’Eldorado, en apportant cette fois la caution de la vérification positive qui sonne le glas “de la géographie qu’on pourrait appeler spéculative, pour ne pas dire divinatoire[xxx]. La volonté de rationalisation en ce domaine débute dès les années 1750, grâce à l’expédition à l’Orénoque, pour laquelle on retrouve la même horreur du vide. Lors de celle-ci, les informations modernes et empiriques prennent le pas sur la tradition mythique. Constatant que “dans cette vaste zone de l’Amérique, [la] géographie […] a été et reste un jeu de devinettes entre géographes de premier ordre”, les hommes de la mission s’attachent à faire disparaître au possible le terme de terre inconnue, “notion culturellement honteuse” pour les ilustrados[xxxi].

Qu’ils soient d’origine locale ou européenne, les mythes sont dès lors soumis à la vérification systématique des voyageurs[xxxii]. Mais l’exploration de l’Amérique n’en est encore qu’à ses tâtonnements, et l’espace laissé à l’imagination n’explique pas la persistance de certains mythes au détriment d’autres. La recherche de l’unité, de l’universalité, joue dans ce domaine un rôle essentiel[xxxiii]. La religion en subit les conséquences, avec la fin des utopies bibliques. Les références au paradis terrestre, à l’évangélisation précolombienne font place à un discours où le comparatisme l’emporte sur le providentialisme. Répondant à Feijoo pour qui, dès 1747, l’histoire naturelle apparaît comme un défi permettant à l’Espagne de sortir de la prison métaphysique dans laquelle elle est enfermée[xxxiv], Malaspina abandonne les articulations entre milieu naturel et tradition évangélique proposées par Ulloa. Pour sa part, Humboldt conclut de son expérience en Amazonie : “Chez tous les peuples de la terre, les idées superstitieuses prennent la même forme au commencement et au déclin de la civilisation[xxxv]. La démarche inductive supplée à la déduction.

A cet égard, la relation de voyage impose sa présence récurrente, malgré son caractère pittoresque déplaisant aux hommes de science mais qui, de La Condamine à Lévi-Strauss, apparaît pourtant comme corollaire indispensable du travail scientifique, précisément pour faire place à une classe d’observations difficilement intégrables dans le corpus scientifique traditionnel. Malgré une oeuvre déjà gigantesque, Humboldt se résout à publier une relation, se justifiant longuement de la raison d’être de cet “anti-récit de voyage[xxxvi]:

 

J’avais quitté l’Europe dans la ferme résolution de ne pas écrire ce que l’on est convenu d’appeler la relation historique d’un voyage […]. J’avais rangé les faits, non pas dans l’ordre dans lesquels ils s’étaient présentés successivement, mais d’après les rapports qu’ils ont entre eux. […] En m’y livrant, je n’avais d’autre but que de conserver quelques unes de ces idées éparses qui se présentent à un physicien […] de réunir provisoirement une multitude de faits que je n’avais pas le temps de classer […] Les difficultés que j’ai éprouvées depuis mon retour, dans la rédaction d’un nombre considérable de mémoires destinés à faire connaître certaines classes de phénomènes, m’ont fait vaincre insensiblement mon extrême répugnance à écrire la relation de mon voyage. […] Il est des détails de la vie commune qu’il peut être utile de consigner dans un itinéraire, parce qu’ils servent à régler la conduite de ceux qui parcourent les mêmes contrées après nous ; mais j’ai supprimé la plupart de ces incidents personnels qui n’offrent pas un véritable intérêt de situation, et sur lesquels la perfection du style peut seule répandre de l’agrément.”[xxxvii]

 

Avec Humboldt, le voyageur éclairé veut décrire plutôt que se raconter. Il assume “une position privilégiée de chercheur-témoin qui se place en même temps au-dedans et au-dessus de son objet”[xxxviii]. La vision, plus précise et plus scientifique, montre l’Amérique espagnole dans sa complexité. Cet empiriste, persuadé de la supériorité de la pratique sur la théorie, réfute par exemple l’inertie attribuée au système monopolistique pour mettre en avant le dynamisme de l’interlope favorisé lors des guerres européennes[xxxix]. La fluidité des échanges entre les deux continents est, pour Humboldt, la condition indispensable au développement de la civilisation atlantique.

 

 

Le reflux des données : d’un mirage l’autre

Précisément, la Corona s’applique à préserver le sanctuaire américain des intrusions culturelles étrangères, et les moyens mis en œuvre lors du dernier tiers du dix-huitième siècle traduisent la volonté métropolitaine de maîtriser la divulgation du savoir. Deux exemples illustrent la tension existant chez les voyageurs espagnols entre le désir de conserver leurs “trésors” et celui de les partager et permettre à leurs homologues la poursuite de l’exploration. Dans le premier cas Ruiz et Pavón profitent de l’interdiction de publier à laquelle est soumis Dombey, afin de monopoliser la gloire de la mission au Chili et au Pérou à leur retour en Espagne, en 1788. Pour sa part, Malaspina tombe en disgrâce pour s’être montré trop “libéral” dans ses conclusions concernant la politique à suivre dans les colonies espagnoles[xl].

Avant-garde des Lumières, le voyageur l’est également de sa nation. En offrant plus que les autres pays pour le progrès des connaissances humaines, Cook contribue d’abord, dit-il, à la “grandeur de la Couronne de Grande-Bretagne”. Ici les tensions sont réelles entre le nationalisme et l’universalisme. Si celui-ci paraît faire des émules en Europe[xli], il montre en tout cas ses limites dans les colonies espagnoles et explique les difficultés de pénétration au sein du continent. De fait, si les résultats du voyage de Malaspina touchant aux aspects militaires sont divulgués, l’ambition étant de répliquer aux voyages de Cook, les intentions sont d’ordre nationalistes[xlii]. Ce n’est qu’en 1799 que s’instaure une confiance entre l’étranger Humboldt et le gouvernement espagnol, au point que celui-ci renonce à placer le Prussien sous tutelle et accepte la divulgation de ses recherches dans le reste de l’Europe. Face aux attaques proférées à l’encontre du colonialisme dans l’Essai politique sur l’île de Cuba, l’Espagne, à défaut de pouvoir empêcher la publication, censure l’ouvrage.

La littérature prohibée pénètre néanmoins parmi les élites créoles, dont la culture est louée par Ulloa, soucieux de réfuter les thèses concernant la dégénérescence des Européens en Amérique, avant que leur apprentissage des Lumières, réalisé notamment grâce aux Sociedades Económicas de Amigos del País, normalise leurs propos[xliii]. Forts d’une filiation culturelle commune, les créoles accèdent au rang d’interlocuteurs privilégiés. A cet égard, leur collaboration scientifique est exemplaire. Le botaniste José Mariano Mociño, les peintres Vicente de la Cerda et Atanasio Echeverría, natifs de Nouvelle-Espagne, sont ainsi recrutés pour l’expédition menée à bien sur leurs terres de 1787 à 1797. Caldas et Humboldt se côtoient durant six mois en 1802[xliv]. Dans beaucoup d’autres cas, les Européens profitent de leur séjour pour former de jeunes pousses capables de poursuivre leur travail.

Traverser l’océan n’est d’ailleurs pas l’apanage des Européens. Les créoles effectuent leur Grand Tour en Europe, tel Carlos Montufar profitant du passage de Bonpland et Humboldt pour les accompagner jusqu’en France. Les causes du séjour en Espagne sont trop diverses pour être développées ici ; rappelons simplement que le néo-grenadin Francisco Zea, nommé professeur d’histoire naturelle à Bogotá en 1786 et participant à l’expédition de Mutis, est emprisonné deux années en Espagne pour avoir adhéré aux thèses révolutionnaires françaises, puis, après sa remise en liberté, devient un fer de lance des indépendantistes en Europe. Aussi, les Miranda et Bolívar ont-ils côtoyé les milieux éclairés avant de revenir en Amérique mettre en pratique les idées acquises au contact du laboratoire européen. D’autres enfin entament aussi un voyage d’ouest en est, mais sans retour celui-là. A partir de 1767, après leur expulsion, les jésuites diffusent une culture qui incarne “une époque où la rencontre entre l’Europe et l’Amérique se situe au confluent de plusieurs courants de pensée, parfois contra-dictoires : d’une part, l’esprit de la mission évangélique, de l’autre l’idéologie des Lumières.[xlv] Les jésuites s’avèrent les meilleurs défenseurs de la culture créole, une avant-garde très remuante en Europe comme en témoignent leurs écrits et les réactions sans ambages de l’Espagne[xlvi].

En outre, le désir partagé de la normalisation amène parfois le voyageur à épouser les revendications de ses hôtes, comme le fait Humboldt, en insistant sur le sentiment américaniste qui se développe au Mexique, particulièrement depuis 1789…[xlvii] Si les Européens succombent facilement au mirage de l’infériorité créole vis-à-vis d’une caste dominante espagnole, il semble difficile de parler d’une “créolisation” du voyageur. En dépit de la fascination qu’exerce l’Amérique[xlviii], l’inversion du discours privilégiée par les créoles -de la répulsion à l’exaltation, telle qu’elle transparaît dans les écrits de Clavijero et de son disciple Alzate[xlix]- conduit à une impasse. Un terrain d’entente se dessine autour de la notion de progrès utilisée par les Américains pour faire valoir la reconnaissance de leur identité et de leurs droits. Intégrée, normalisée mais attardée, surtout si on la compare aux Etats-Unis -ce dont les voyageurs ne se privent pas-, l’Amérique ibérique se dirige vers un âge d’or qui, pour s’acquérir, implique la négation d’une partie de son identité. Quitter l’enfance implique des sacrifices.

Car du polycentrisme découle d’autres schèmes marqués par un ethnocentrisme développé de part et d’autre de l’Atlantique. Ethnocentrisme non raciste mais progressiste, universaliste :

 

Dans l’Amérique septentrionale, […] un voyageur qui part d’une ville principale où l’état social est perfectionné, traverse successivement tous les degrés de civilisation et d’industrie qui vont toujours en s’affaiblissant […]. Un tel voyage est une sorte d’analyse pratique de l’origine des peuples et des Etats. On part de l’ensemble le plus composé pour arriver aux données les plus simples ; on voyage en arrière dans l’histoire des progrès de l’esprit humain ; on retrouve dans l’espace ce qui n’est dû qu’à la succession du temps[l]

 

constate Humboldt qui, du même coup, renvoie l’homme sauvage à une représentation des premières phases du développement d’une société humaine universelle qui le condamne à disparaître[li]. Vivant sans passé ni futur, sans travail, le sauvage est donc exclu de la civilisation[lii]. Le modèle de référence pose d’ailleurs un problème aux voyageurs face aux civilisations précolombiennes. L’incompréhension rebute les voyageurs. Face à des sociétés ayant atteint un degré de perfectionnement indéniable mais dont les phases de développement ne permettent pas une classification uniforme, comment les insérer dans l’histoire ? Comment expliquer “l’imagination égarée d’un peuple qui se plaisait à offrir le cœur palpitant des victimes humaines à des idoles gigantesques et monstrueuses[liii] ? Le comparatisme montre ici ses limites. Jugés d’inspiration satanique au seizième siècle, les restes de la civilisation aztèque perdent cette cohérence lorsqu’il s’agit de faire coïncider architecture et société deux siècles plus tard. A ce titre, les tentatives de lecture de Humboldt empruntent au christianisme, à l’Antiquité, au Moyen Age, aux Chinois et aux Hindous. Finalement, cette “branche intéressante de l’Antiquité” prouve que “des nations entières peuvent avancer rapidement vers la civilisation, sans que les institutions politiques et les formes de leur culte perdent entièrement de leur ancienne barbarie[liv]. Des “demi-barbares”, dont il serait curieux de placer l’art “à côté des belles formes qu’à vu naître le ciel de la Grèce et de l’Italie”, voilà ce que sont les anciens Mexicains pour le voyageur éclairé, au grand dam cette fois des créoles. Le mirage d’une civilisation universelle n’échappe pas à ses propres contradictions[lv].

De la somme de connaissances refluant en Europe, un grand nombre pourrit toutefois. Car s’ils sont une avant-garde des Lumières, les voyageurs en assument les déboires, et force est de constater que la reconnaissance est rarement au rendez-vous. Les résultats obtenus par l’expédition Godin au Pérou sont occultés par ceux de Maupertuis. Joseph de Jussieu, le naturaliste de l’expédition, ne laisse après un séjour de trente-six ans que des notes et une correspondance[lvi]. De même les collectes du naturaliste de Bougainville, Commerson, effectuées en grande partie au Río de la Plata, demeurent enfouies au Jardin du roi. Péron doit se battre pour que soit reconnu son travail et accéder finalement à l’Institut, chance que Bonpland ne partage pas, jetant l’éponge et repartant pour l’Amérique en quête d’une improbable promotion[lvii]. En 1781, Dombey laisse éclater sa rancœur vis-à-vis des conflits entre savants :

 

La diversité des sentiments sur la marche ou le travail occasionne des mésintelligences qui quoiqu’elles n’éclatent pas, ulcèrent les cœurs. […] Ne point haïr son compagnon qui reçoit une faveur, une récompense que l’on ne reçoit pas soi-même et que l’on croit mériter, est une si belle vertu, que l’homme qui n’en haïrait pas un autre dans ce cas, mériterait des autels…[…] je parle de la jalousie qui s’engendre entre quelques personnes qui suivent une même carrière. Dans ce cas-là, une louange, quelques préférences accordées à celui qui aura des talents supérieurs, suffiront pour le faire détester de ses compagnons de voyage […] La vertu, les bonnes actions, filles de la vertu, suffisent pour se faire des ennemis de ceux avec lesquels on doit passer une partie de sa vie. Il est assez ordinaire de voir des expéditions manquer par de tels motifs.[lviii]

 

Et que dire des résultats espagnols ? Très peu sont publiés, malgré la levée de la censure, et les énormes moyens mis en œuvre le sont en pure perte. Une subvention lancée en 1791 dans l’ensemble des possessions, afin de publier une Flora Americana rassemblant les fruits de cinquante années de recherche, échoue à réunir les fonds nécessaires. Ruiz et Pavón parviennent néanmoins à publier une partie de leurs travaux grâce à leur abnégation dans la recherche des fonds[lix]. L’ultime expédition du siècle, dirigée par le comte de Mopox à Cuba entre 1796 et 1802, ne connaît pas de meilleur sort que ses devancières[lx]. Une fois encore, les trésors du Nouveau Monde échappent aux Espagnols[lxi]. La botanique est pourtant la science reine, celle dont la nomenclature rend possible la constitution d’un savoir universel et celle qui permet aussi le mieux d’ôter sa monstruosité au Nouveau Monde.

 

 

 

A travers le survol d’un demi-siècle de voyages entre l’Europe et l’Amérique, nous pouvons mesurer les avancées réalisées d’abord en ce qui concerne l’isolement culturel de l’Amérique ibérique. A défaut de former une réelle communauté scientifique, une “République des savants”, les voyageurs tissent un réseau qui va alimenter un regain d’intérêt pour le continent, et d’abord de la part de ses habitants. En dépassant, grâce à leur “empirisme raisonné”, la rupture entre légendes noire ou rose, ils émancipent le Nouveau Monde d’une tutelle culturelle pesante. La construction d’une civilisation atlantique profite directement aux créoles, qui participent activement à l’immense tentative de compréhension de leur patrie.

Depuis les natures et les cultures observées, jusqu’à celles restituées, le jeu des filtres culturels est évidemment fondamental dans le processus de restitution de l’information. Mais les efforts intentés notamment pour relier la nature à la culture, l’intérêt scientifique de plus en plus développé vis-à-vis des sociétés rencontrées, ouvrent un nouveau monde aux voyageurs de la seconde moitié du dix-huitième siècle. Mais cette nouveauté change d’essence depuis Ulloa jusqu’à Humboldt en même temps que s’affirment les Lumières, et surtout leurs missionnaires qui profitent d’un terrain d’expérimentation privilégié. Porteurs d’une culture, les voyageurs se voient offrir d’autres perspectives dans la constitution du savoir. L’interaction aboutit à la fin du siècle à la formation de sciences nouvelles telle l’ethnologie. Le voyageur naturaliste prépare sa propre fin face à la nécessité de diviser les terrains d’études au fur et à mesure que se complexifient les approches, qui elles-mêmes serviront bientôt à développer d’autres sciences, mais aussi d’autres mythes. En effet, le concept du paradis terrestre se déplace du continent américain vers les îles pacifiques, fait significatif de la persistance d’une quête à l’aube de l’âge romantique.

Par leurs sacrifices aussi, les voyageurs préparent l’exploration européenne ultérieure du Nouveau Monde, qui peut servir de laboratoire et de modèle à celle des autres continents. En effet, la pénétration à l’intérieur des terres en vue d’obtenir des informa-tions scientifiques et non plus seulement des richesses, constitue un développement important de la démarche intellectuelle. Le transfert des savoir-faire, des formations et des informations reste et restera  pendant longtemps le seul moyen de préparer le voyage ; le prestige naissant entourant l’explorateur, le recours à celui-ci va le transformer, surtout après les indépendances hispano-améri-caines, en une icône chargée du pouvoir de comprendre l’autre et l’ailleurs, parce qu’il en a souffert et parce qu’il en a ramené la bonne parole. Surtout, les sacrifices endurés lors de la seconde moitié du dix-huitième siècle préparent l’expansion coloniale européenne du siècle suivant, le Siècle d’Or des explorateurs.

 

Cédric Cerruti

Université de La Rochelle

 

 



[i] Tel Joseph Dombey, voyageant d’abord en France, initiant Jean-Jacques Rousseau à la botanique, et rapidement mis en relation avec les naturalistes du Jardin du roi, recours indispensables à la préparation du voyage.

[ii] Voir Friedrich Wolfzettel, Le discours du voyageur. Le récit de voyage en France, du Moyen Age au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1991, p.286-290.

[iii] Voir Anthony Pagden, European Encounters with the New World. From Renaissance to Romanticism, Yale University Press, New Haven & London, 1993, p.157-162. La critique de Raynal vis-à-vis des voyages de découverte est particulièrement féroce : “Depuis les audacieuses tentatives de Colomb & de Gama, écrit-il, il s’est établi dans nos contrées un fanatisme jusqu’alors inconnu : c’est celui des découvertes. On a parcouru & l’on continue à parcourir tous les climats vers l’un & vers l’autre pole, pour y trouver quelques continents à envahir, quelques îles à ravager, quelques peuples à dépouiller, a subjuguer, à massacrer. […] Les expéditions de long cours ont enfanté une nouvelle espèce de sauvages nomades. Je veux parler de ces hommes qui parcourent tant de contrées qu’ils finissent par n’appartenir à aucune ; […] qui n’ont vraiment ni pères, ni mères, ni enfants, ni frères, ni parents, ni amis, ni concitoyens.” Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Paris, 1780, t.X, p.473-475.

[iv] Citations [in] Friedrich Wolfzettel, Le discours du voyageur. Le récit de voyage en France, du Moyen Age au XVIIIe siècle, op. cit., p.293-297.

[v] Voir Fermin del Pino Diaz, “L’Amérique et le développement de la science en Espagne au XVIIIe siècle : tradition, innovation et représentation à propos de Francisco Hernandez” [in] L’Amérique espagnole à l’époque des Lumières, p.101-122.

[vi] Citation [in] Antonello Gerbi, La disputa del Nuevo Mundo. Historia de una polémica (1750-1900), Mexico, FCE, 1993 (1955), p.150.

[vii] Instruccion […] para pasar a la America Meridional en compañia del Medico Dr Josef Dombey, 1777. Citation [in] Ernest Théodore Hamy, Joseph Dombey, médecin, naturaliste, archéologue, explorateur du Pérou, du Chili et du Brésil (1778-1785), Paris, E. Guilmoto, 1905, p.XXIV.

[viii] Citation [in] Charles Minguet, Alexandre de Humboldt, Historien et géographe de l’Amérique espagnole (1799-1804), Paris, L’Harmattan, 1997 (1969), p.586-587. Jean-Pierre Clément résume parfaitement cette continuité entre le Siècle d’Or et celui des Lumières : “il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître un renouveau, une sorte de seconde Renaissance ; un élan d’enthousiasme porte les Européens, un appétit de savoir les pousse à essayer de connaître la nature de la façon la plus complète possible.” Jean-Pierre Clément, “Botanique et Lumières en Espagne (A propos d’un ouvrage récent, la Flora Peruviana)” [in] Carlos Serrano, Jean-Paul Duviols, Annie Molinié, dir., Les voies des Lumières. Le monde ibérique au XVIIIe siècle, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1998, p.151-163. “C’est bien la conquête de l’Amérique qui annonce et fonde notre identité présente […]. Nous sommes tous les descendants directs de Colomb, c’est en lui que commence notre généalogie” clame encore Tzvetan Todorov. Tsvetan Todorov, La conquête de l’Amérique. La question de l’Autre, Paris, 1982, p.14.

[ix] J.G. Stedman, Voyage à Surinam et dans l’intérieur de la Guyane, Amsterdam, 1787, p.231.

[x] Georges Anson, Voyage autour du monde, Paris, Utz, 1992 (1749), p.61.

[xi] Sur la formation et le caractère des voyageurs-naturalistes, voir Yves Laissus, “Les voyageurs-naturalistes du Jardin du roi et du Muséum d’histoire naturelle : essai de portrait-robot” [in] Revue d’Histoire des Sciences, vol.XXXIV, 1981, p.261-317.Citation p.312.

[xii] Tel Séguier, conseillant Dombey avant son départ pour le Pérou, en 1777 : “Voilà bien des occupations et des remarques à faire ; je connais votre zèle et votre patience et j’en espère tout” Citation [in] Ernest Théodore Hamy, Joseph Dombey […], op. cit., p.322. Philibert Commerson rédige son propre programme avant son embarquement avec Bougainville, en 1772.

[xiii] Lettre à Willdenow, février 1801, in Ernest Théodore Hamy, Lettres américaines d’Alexandre de Humboldt, Paris, E. Guilmoto, 1905, p.114.

[xiv] Ibid., p.107-108 et 142.

[xv] Antonio de Ulloa, Mémoires philosophiques, historiques, physiques…, Paris, 1787, tome I, p.6-7, 10-11 ; tome II, p.112-119.

[xvi] Voir Edgardo Lander, “Ciencias sociales : saberes coloniales y eurocénticos” [in] Edgardo Lander, comp., La colonialidad del saber : eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas, Buenos Aires, CLASCO, 2000, p.11-40.

[xvii] Voir Antonello Gerbi, La disputa del Nuevo Mundo. Historia de una polémica (1750-1900), op.cit., p.158, 172-173. L’étude du milieu est à l’origine du constat  d’Alexandre de Humboldt concernant le Mexique : la nature, en plaçant cette nation au centre d’un réseau d’échanges, détermine son évolution culturelle. Voir Alexandre de Humboldt, Essai politique sur le royaume de Nouvelle-Espagne, Paris, Utz, 1997 (1810), p. 45-64, 405-406.

[xviii] George Anson, qui s’est attardé le long des côtes américaines lors de son tour du monde, incarne le rapprochement s’effectuant parallèlement entre le voyageur de long cours et l’homme de science. Contre les préjugés énonçant qu’un bon homme de mer doit être aussi rude et intraitable que son élément, ou que les sciences et les arts sont les ennemis du vrai courage, l’Anglais répond que les meilleurs dessins sont de la main de Piercy Brett, un “grand combattant” ; “les beaux-arts sont bien éloignés de diminuer en rien la valeur, le sens et l’adresse de ceux qui s’y appliquent […] il n’y a aucune profession qui exige plus de théorie et de réflexion de la marine.” Georges Anson, Voyage autour du monde, op. cit., p.25. Voir également Etienne Taillemite, Marins français à la découverte du monde, de Jacques Cartier à Dumont d’Urville, Paris, Fayard, 1999, p. 207-209.

[xix] Unifier aussi les deux mondes du savoir et de l’expérience. A ce propos, voir l’évolution de la représentation du savant au travail de Raynal à Humboldt étudiée par Ottmar Ette, “La puesta en escena de la mesa de trabajo en Raynal y Humboldt” [in] Cuadernos americanos, juillet-août 1994, n°46, p.29-68.

[xx] Tel Fusee de Aublet, envoyé à Cayenne comme pharmacien et botaniste entre 1762 et 1765, et qui publie en 1775  une Histoire des plantes de la Guiane française, rangées selon la méthode sexuelle, avec plusieurs mémoires sur différents objets intéressants, relatifs à la culture et au commerce de la Guiane française, et une notice des plantes de l’île de France.

[xxi] Marisa Gonzalez Montero de Espinosa, La Ilustración y el hombre americano. Descripciones etnológicas de la expedición Malaspina, Madrid, CSIC, 1992, p.99-105.

[xxii] Ibid., p.58.

[xxiii] Ernest Théodore Hamy, Lettres américaines d’Alexandre de Humboldt, op. cit., p.131-140.

[xxiv] Voir Marie-Noëlle Bourguet, Christian Licoppe, “Voyages, mesures et instruments. Une nouvelle expérience du monde au siècle des Lumières” [in] Annales HSS, septembre-octobre 1997, n°5,  p.1118-1120.

[xxv] Citation [in] Laurent Vidal, “L’expédition Malaspina (1788-1794) : les sciences espagnoles au service de la politique coloniale” [in] Guy Mertiniere, Laurent Vidal, Les Européens et la mer au XVIIIe siècle, les Ibériques de l’Atlantique au Pacifique, Paris, Ophrys, 1997, p.122 ; Ernest Théodore Hamy, Joseph Dombey […], op. cit., p.126-127 ; Lettres américaines d’Alexandre de Humboldt, op.cit., p.141.

[xxvi] Anne Vitart, “Notre monde rencontre un autre monde. Cabinets de curiosités : la part de l’Amérique” [in] Joëlle Rostkowski, Sylvie Devers, dir., Destins croisés: cinq siècles de rencontres avec les Amérindiens, Paris, Albin Michel, 1992, p.241-248.

[xxvii] Ernest Théodore Hamy, Joseph Dombey […], op.cit., p.128.

[xxviii] Charles-Marie de La Condamine, Voyage sur l’Amazone. Citation [in] Jean-Pierre Sanchez, Mythes et légendes de la conquête de l’Amérique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996, tome II, p.649.

[xxix] L’enquête de Humboldt à ce sujet met l’accent sur la diffusion du mythe au sein de tribus n’ayant pas de contacts entre elles ni avec les Blancs. Et de conclure par la rationalisation d’un phénomène local : “Non qu’il y a des Amazones sur les rives du Cuchivero, mais que, dans différentes parties de l’Amérique, des femmes, lasses de l’état d’esclavage dans lequel elles sont tenues par les hommes, se sont réunies, comme les nègres fugitifs, dans une palenque ; que le désir de conserver leur indépendance les a rendues guerrières[…]. Il suffit que cette société de femmes ait acquis quelque force dans une des parties de la Guyane pour que des événements très simples, qui ont pu se répéter en différents lieux, aient été dépeints d’une manière uniforme et exagérée. C’est le propre des traditions.” Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent fait en 1799 et 1800 par A. de Humboldt et A. Bonpland. L’Orénoque, Paris, Club des Libraires de France, 1960 (1819), p.295-298.

[xxx] Ibid., p.277 ; voir aussi “la fin des géographies imaginaires” étudiée par Michel Pouyllau, “Une géographie de l’Eldorado” [in] Découvertes et explorateurs, Bordeaux, Maison des pays ibériques, L’Harmattan, 1994, p.451-463.

[xxxi] Manuel Lucena Giraldo, “La géographie de l’Eldorado. Une approche de la représentation du Nouveau Monde à travers la expedición de limites al Orinoco [in] Michel Bruneau, Daniel Dory, dir., Géographie des colonisations, XVe-XXe siècles, Paris, L’Harmattan, 1994, p.234-235.

[xxxii] Pour une liste exhaustive de ces mythes et de leur évolution, voir Jean-Pierre Sanchez, Mythes et légendes de la conquête de l’Amérique, op. cit.

[xxxiii] Voir Marie-Noëlle Bourguet, “L’explorateur” [in] Michel Vovelle, dir., L’Homme des Lumières, Paris, Seuil, 1996, p.285-345.

[xxxiv] Andrés Galera, Marcelo Frias, “Félix de Azara et l’Histoire naturelle de Buffon” [in] Yves Laissus, coord., Les naturalistes français en Amérique du Sud. XVI-XIXe siècles, Paris, CTHS, 1995, p.57.

[xxxv] Jean-Pierre Sanchez, Mythes et légendes de la conquête de l’Amérique, op. cit., p.91, 204-211 ; Marisa Gonzalez Montero de Espinosa, La Ilustración y el hombre americano. Descripciones etnológicas de la expedición Malaspina, op. cit., p.86, 122, 132 ; Alexandre de Humboldt, Essai politique sur le royaume de Nouvelle-Espagne, op. cit., p.181.

[xxxvi] L’expression est de Christophe Cordonnier, “La relation historique du voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent : un anti-récit de voyage” [in] Acta Geografica, n°123, 2000, vol.III, p.77-99.

[xxxvii] Alexandre de Humboldt, La relation historique du voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent, op.cit., p.7-9.

[xxxviii] Friedrich Wolfzettel, Le discours du voyageur. Le récit de voyage en France, du Moyen Age au XVIIIe siècle, op. cit., p.275.

[xxxix] Voir Miguel Angel Puig Samper, coord., “Alejandro de Humboldt y el mundo hispánico. La Modernidad y la Independencia americana” [in] Debate y Perspectivas, n°1, décembre 2000.

[xl] Anne-Marie Brenot, “Les voyageurs français dans la vice-royauté du Pérou au XVIIIe siècle” [in] Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, XXXV, 1988, p.252-253 ; Marisa Gonzalez Montero de Espinosa, La Ilustración y el hombre americano. Descripciones etnológicas de la expedición Malaspina, op.cit., p.58.

[xli] En 1778, Louis XVI se laisse rapidement convaincre “d’ordonner à tous les officiers de sa marine ou armateurs particuliers qui pourraient rencontrer le Capitaine Cook de s’abstenir de toutes hostilités envers lui et son bâtiment” au nom du “progrès des connaissances humaines” [in] Ernest Théodore Hamy, Joseph Dombey […], op. cit., p.173. L’articulation des intentions nationalistes et universalistes, la prédominance de l’une sur l’autre jouent sans doute un grand rôle dans la constitution du savoir, en Amérique et ailleurs. Quelle aurait été la réaction du roi de France si les résultats de Cook n’étaient pas promis à la divulgation ?

[xlii] Fernando Monge, “La honra nacional en las expediciones de Cook y Malaspina : una visión antropológica” [in] Mariano Esteban Piñero et al., coord., Estudios sobre historia de la ciencia y de la tecnica, Valladolid, Junta de Castilla y León, 1986, vol.II, p.703-713.

[xliii] Voir Antonello Gerbi, La disputa del Nuevo Mundo. Historia de una polémica (1750-1900), op.cit., p.123, 227-235, 386 ; Alberto Saladino-Garcia, “Función modernizadora de las “Sociedades Económicas de Amigos del País” en el Nuevo Mundo” [in] Cuadernos Americanos, mars-avril 1993, n°38, p.225-236.

[xliv] Voir Juan Carlos Arias Divito, Las expediciones científicas españolas durante el siglo XVIII. Expedición botánica de Nueva España, Cultura Hispánica, Madrid, 1968, p.30-45 ; John W. Appel, Francisco José de Caldas. A Scientist at Work in Nueva Granada, Philadelphie, American Philosophical Society, 1994, p.20-34.

[xlv] Jeanne Chenu, “Une interprétation “éclairée” de la province de Santa Marta : vision d’un Jésuite exilé, le Padre Antonio Julián” [in] Marie-Cécile Benassy et al., Etudes sur l’impact culturel du Nouveau Monde, Paris, L’Harmattan, 1981, tome I, p.75-76.

[xlvi] Tel l’Argentin Juan José Godoy, emprisonné à Cadix en 1787 après avoir été soupçonné de vouloir “sublevar o perturbar alguna de nuestras posesiones”. Voir Guillermo Furlong, Los Jesuitas y la cultura rioplatense, Buenos Aires, Editorial Biblos, 1994, p.161-174. Pour une approche globale de l’œuvre culturelle jésuite en Europe, voir Antonello Gerbi, La disputa del Nuevo Mundo. Historia de una polémica (1750-1900), op.cit., p.243-291.

[xlvii]L’Européen le plus misérable, sans éducation, sans culture intellectuelle, […] peut un jour parvenir à des places dont l’accès est presque interdit aux natifs, même à ceux qui se distinguent par leur talent, par leurs connaissances et par leurs qualités morales”, commente-t-il dans son Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, op. cit., p.145-146. Les passages les plus saillants sont cités par Salvador de Madariaga, Le déclin de l’empire espagnol d’Amérique, Albin Michel, Paris, 1958, p.233-236.

[xlviii] Fascination que l’on perçoit le mieux dans le discours iconographique. Voir à ce sujet Madeleine Pinault Sorensen, “Les voyageurs artistes en Amérique du Sud au XVIIIe siècle” [in] Yves Laissus, coord., “Les voyageurs français dans la vice-royauté du Pérou au XVIIIe siècle”, op. cit., p.43-55.

[xlix] Voir José Luis Peset, “El espacio americano y el nacimiento de la geografía médica” [in] Marie-Cécile Benassy, Jean-Pierre Clément, Francisco Pelayo, Miguel Angel Puig-Samper, coord., Nouveau Monde et renouveau de l’histoire naturelle, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1994, tome III, p.234-244.

[l] Alexandre de Humboldt, citant Talleyrand dans son Essai politique sur le royaume de Nouvelle-Espagne. Alexandre de Humboldt, Essai politique sur le royaume de Nouvelle-Espagne op. cit., p.173.

[li] Voir Anthony Pagden, “Americanism from modernity to post-modernity” [in] Serge Gruzinski, Nathan Wachtel, Le Nouveau Monde. Mondes Nouveaux. L’expérience américaine, Paris, EHESS, 1996, p.613. De la même manière, Tocqueville pourra arguer du droit au progrès pour justifier l’appropriation territoriale des Etats-Unis au détriment des Indiens. Humboldt, pour sa part, distingue, le sauvage de l’indien  qui, ayant déjà connu une forme de civilisation et qui, intégré à la société coloniale, en devient perfectible.

[lii] Dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle, le mot “civilisation” ne s’utilise qu’au singulier. Le travail acquiert pour sa part une valeur qui va rejeter pour longtemps le sauvage hors de l’ordre social. Voir Annie Jacob, “Amérindiens/Européens : les transferts culturels dans les représentations du travail (XVIe-XVIIIe siècles)” [in] Laurier Turgeon et al., Transferts culturels et métissages Amérique/Europe. XVIe-XXe siècles, Paris, L’Harmattan, 1996, p.349-356.

[liii] Alexandre de Humboldt, Essai politique sur le royaume de Nouvelle-Espagne, op. cit., p.212.

[liv] Alexandre de Humboldt, Atlas pittoresque, Paris, 1810, p.99, 194.

[lv] Alexandre de Humboldt, Essai politique sur le royaume de Nouvelle-Espagne, op. cit., pp.150. Serge Gruzinski explique qu’en “explorant son sol, Mexico entend rivaliser avec les villes italiennes et espagnoles. […] Tendue vers l’avenir, curieuse de son passé antique comme Naples l’était à la même époque, [elle] affirme sa personnalité en s’efforçant de rompre avec son passé immédiat.” Serge Gruzinski, Histoire de Mexico, Paris, Fayard, 1996, p.82.

[lvi] Voir Anne-Marie Brenot, “Les voyageurs français dans la vice-royauté du Pérou au XVIIIe siècle”, op.cit., p.249-251.

[lvii] Voir Jacques Brosse, Les tours du monde des explorateurs. Les grands voyages maritimes, 1764-1843, Paris, Bordas, 1983, p.32, 106-107. En ce qui concerne le destin de Bonpland, voir Philippe Foucault, Le pêcheur d’orchidées. Aimé Bonpland (1773-1858), Paris, Seghers, 1990.

[lviii] Ernest Théodore Hamy, Joseph Dombey […], op. cit., p.86-87.

[lix] Raúl Rodriguez Nozal, Antonio Gonzalez Bueno, “Las colonias al servicio de la ciencia metropolitana : la financiación de las “Floras Americanas” (1791-1809)” [in] Revista de Indias, n°205, 1995, vol.LV, p.597-634.

[lx] “Cuando los materiales botánicos (herbario y descripciones de las plantas) se encontraron en España cayeron en el olvido y ni se ordenaron ni se clasificaron” commentent A. Gomis Blanco, F. Pelayo Lopez et J. Fernandez Perez, “Valoración de los resultados obtenidos por los naturalistas de la expedición a Cuba del Conde de Mopox (1796-1802)” [in] Mariano Esteban Piñero et al., coord., Estudios sobre historia de la ciencia y de la tecnica, op.cit., p.638.

[lxi] Mociño, réfugié en France, confie ses travaux à de Candolle qu’il rencontre à Montpellier. Sur ce point : Juan Carlos Arias Divito, Las expediciones científicas españolas durante el siglo XVIII […], op.cit., p.267-269.

 

 

 

Retour à l’index