Le pèlerinage littéraire dans les Mascareignes

aux XIXe et XXe siècles

 

Sophie Linon-Chipon

 

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L'archipel des Mascareignes qui compte trois îles situées au niveau du tropique du Capricorne dans le sud de l'Océan indien à l'est de la grande île de Madagascar possède, malgré son éloignement des grands pôles culturels, une activité littéraire fortement ancrée dans le paysage local. Marquées par un “déficit de passé”[i], ces îles à la mémoire jeune sont devenues, à la faveur de quelques illustres écrivains, le théâtre nouveau de pèlerinages littéraires. Ainsi concrétisent-elles ce besoin, essentiel au voyageur écrivain, de forger, par l'empreinte des textes, une histoire dont les prolongements esthétiques et affectifs débordent du cercle insulaire pour rayonner au-delà de leurs rivages. Ces lieux de mémoire constituent un ensemble volcanique d'îles sœurs, dont chacune a connu une histoire distincte présentant de façon tout à fait remarquable des pratiques totalement différentes en terme de pèlerinage littéraire. Nous étudierons donc les voyages d'Auguste Billiard à l'île Maurice, de Charles Henry Leal à l'île de La Réunion et de Jean-Marie Le Clézio à l'île Rodrigues. Étant donné que chaque voyage correspond à une approche spécifique du lieu et des textes qui s'en font l'écho, notre objectif est donc de tracer les prémisses d'une typologie du pèlerinage littéraire dans l'archipel des Mascareignes aux XIXe et XXe siècles.

 

 

Voyage dans un roman

 

Auguste Billiard, haut fonctionnaire nommé à Bourbon à la Restauration où il arrive en 1817, est de retour à Paris fin septembre 1820. Il soumet alors au ministre de l’intérieur, le comte de Montalivet, pair de France, ses réflexions sur l’état et les besoins de la seule colonie restée à la France dans l’archipel des Mascareignes et ses regrets pour la perte de l’Ile de France (Maurice). Composé de lettres, son témoignage paraît en 1822 sous le titre administratif et politique de Voyage aux colonies orientales[ii] alors que l'intitulé initialement prévu par l’auteur était plus littéraire et plus personnel, Souvenirs des îles de France et de Bourbon.

Le cas d'Auguste Billiard correspond à la forme la plus naïve et la plus séduisante du pèlerinage littéraire. Se rendre à l'île Maurice sur les traces de Paul et Virginie constitue en effet une démarche dans laquelle l'empreinte fictionnelle de l'œuvre littéraire de Bernardin de Saint-Pierre s'impose comme un parcours obligé dont les ressources mythiques guident un regard tributaire du cadrage romanesque. Le passage clef qui illustre sa démarche se trouve dans la deuxième lettre écrite au Port-Louis de l'île de France et datée du 27 février 1817 où il nous raconte :

 

Je trouvai aussi l'occasion de faire le pèlerinage jusque dans l'enfoncement des Prêtres où Bernardin de Saint Pierre a fait naître Paul et Virginie, je remontai vers les sources de la petite rivière des Lataniers ; la lecture que j'avais faite la veille des passages les plus touchants du livre de Bernardin de Saint Pierre m'avait rempli l'esprit des plus aimables illusions. Mettez à part les descriptions du pays qui ont tant de physionomie et de vérité, à l'exception du naufrage du navire le Saint-Géran, le reste appartient à l'imagination de l'auteur. Je savais tout cela ; cependant je ne cherchai point à me défendre d'une certaine superstition qui ne peut avoir de danger pour personne.” (p.40)

 

Afin d'entretenir la fiction nécessaire à l'accomplissement du pèlerinage littéraire, Billiard s'engage dans la confrontation du texte et des lieux :

 

un habitant [...], devinant le motif de mon voyage, me proposa obligeamment de me servir de guide. Il me conduisit auprès de quelques petites cases qui doivent ressembler à celles qu'avaient autrefois à la même place Marguerite et Mme de Latour. Le tableau que fait Bernardin de Saint Pierre de ce charmant réduit serait encore parfaitement exact, si l'on n'avait pas détruit ces palmistes dont on voyait les longues flèches toujours balancées par les vents.” (p.40-41)

 

De cette confrontation émerge une troublante vision directement issue de l'iconographie de Paul et Virginie. En effet, la scène la plus représentée[iii], les mères et leurs enfants, se retrouve singulièrement au centre de cette rencontre entre les habitants du lieu et les personnages du roman :

 

Tout semblait réaliser mes premières illusions : une jeune femme simplement vêtue, mais d'une physionomie expressive et gracieuse, était assise à la porte d'une des cases, tenant sur ses genoux un enfant aussi beau qu'un Amour.” (p.41)

 

Cette mise en scène consacre un imaginaire romanesque qui associe la vision de Billiard à des figurations dont les lignes esthétiques masquent celles de la scène réellement observée à tel point que le voyageur a le sentiment de revivre par intervalle et subrepticement des épisodes du roman :

 

Je mangeai d'excellentes fraises en remontant jusqu'au passage de la Montagne-Longue, où Paul et Virginie allaient au devant de leurs mères, lorsqu'elles revenaient de l'église des Pamplemousses.” (p.41)

 

Bien qu'il manifeste à l'égard de l'illusion romanesque une vigilante lucidité, Billiard prêche pour la préservation et la mémoire du site et, face aux velléités rénovatrices du propriétaire il craint “que cela ne dissipe tout à fait les idées romanesques auxquelles on aime à s'abandonner en s'élevant dans cette solitude.”

On apprend enfin que la pratique du pèlerinage sur les traces de Paul et Virginie est courante ce que confirme l'habitant du lieu “devinant le motif de mon voyage.” De plus, les “inscriptions qui n'ont aucune espèce d'intérêt”, gravées sur les troncs des vieux manguiers, indiquent clairement que les hauts de la rivière des Lataniers constituent en effet un lieu de pèlerinage où les amoureux se rendent en souvenir de l'idylle de Paul et Virginie. Ces inscriptions, avatars romanesques d'amours de passage, sont le signe d'une réappropriation cultuelle dont les significations semblent, de l'avis de Billiard, dénaturer un modèle inégalable. L' “écorce [...] déchirée” marque cette dégradation du lieu qu'il voudrait intemporel, fidèle à jamais à la mémoire d'un texte et d'un décor sacrés. Au terme de ce parcours, la relecture du roman est envisagée sous un autre jour mêlée des réminiscences nostalgiques d'une visite inoubliable :

 

Je relirai Paul et Virginie avec un nouveau plaisir ; je me souviendrai d'avoir visité les lieux où Bernardin de Saint Pierre aimait à faire sa promenade ; je ne craindrai pas non plus d'oublier le nom des personnes qui ont ajouté au charme du roman par leur obligeante hospitalité.” (p.41)

 

L'adhésion de Billiard à ce rituel est cependant tout à fait ambiguë. Comme tout bon pèlerin il se prépare par une relecture, mais il est en même temps réticent à l'égard de cette illusion dont il n'est pas dupe, sinon pour le plaisir de se laisser charmer. Il conçoit donc tout à fait cette relation au lieu mythique sous le rapport d'un abandon complaisant dont l'intérêt est de procurer à celui qui s'y livre, les plaisirs d'une rêverie romanesque. Le voyageur lui-même, conscient de la translation, prolonge pas à pas l'espace du roman et le lieu véritablement parcouru. Ces quelques concessions sont paradoxalement le signe d'un esprit critique : n'avoue-t-il pas lui-même un peu plus loin, “ce n'est point dans le roman de Bernardin de Saint Pierre qu'on peut étudier les mœurs de nos colonies d'Orient ; Paul et Virginie sont d'un autre monde que le pays où l'auteur les a placés.” (p.238) ? En réalité, Auguste Billiard, comme beaucoup de ses contemporains, considère Bernardin de Saint Pierre avec un esprit très critique notam-ment d'un point de vue idéologique. A propos de l'esclavage, il réagit avec la conviction partisane du colon :

 

Il n'est pas besoin de réfuter les homélies de Bernardin de Saint Pierre sur les mauvais traitements que les blancs font éprouver aux noirs dans les colonies des îles de France et de Bourbon [...] ; il ne fallait pas faire un éloquent mensonge pour charger une colonie entière de ce qui n'apparaît qu'à quelques particuliers.” (p.73)

 

Billiard, avec un certain mépris, traite Bernardin de Saint Pierre de “philanthrope célèbre” considérant qu'il aborde mal le problème de l'esclavage et de l'exploitation des noirs pour la production et le commerce du café et du sucre. Sur ce point, il condamne les positions de Bernardin de Saint Pierre et opère une mise au point politique sur des bases pseudo-historiques:

 

Bernardin de Saint Pierre s'est mépris en prétendant qu'on ne pouvait acheter le sucre et le café qu'avec la liberté [...]. La haine que ce grand écrivain avait conçue pour des colonies où son amour-propre n'avait pas été satisfait a fermé son cœur aux inspirations d'une prudente humanité.” (p.172-173)

 

Le terrain idéologique n'est d'ailleurs pas le seul sur lequel Billiard s'oppose à Bernardin de Saint Pierre puisqu'il se risque même à le critiquer d'un point de vue personnel à propos de son silence sur les célèbres Pierre Poivre, Philibert Commerson, Joseph Hubert, Charpentier-Cossigny, Céré, Tromelin et Mahé de Labourdonnais : “l'envie est-elle un mal dont Bernardin de Saint Pierre aurait été tourmenté ?” (p.150)

Nous avons donc vu que le pèlerinage romanesque dans l'enfoncement des Prêtres pouvait correspondre à une “certaine superstition qui ne peut avoir de danger pour personne” (p.40). Cette agréable fantaisie a en effet l'avantage, par ses charmes, de nous distraire des préoccupations politico-économiques du haut fonctionnaire et donne de la vie d'une colonie perdue une image vestige d'un âge d'or à jamais révolu. Mais Billiard ne manque pas, à l'exception de l'épisode romanesque du pèlerinage, une occasion de déjouer toute ambiguïté en proclamant clairement sa désapprobation vis à vis des valeurs que Bernardin de Saint Pierre défendait. Bizarrement donc, le pèlerinage littéraire sur les traces de Paul et Virginie sert la propagande coloniale que Bernardin de Saint Pierre a toujours condamnée...

 

 

L'île des Poètes

 

Le cas de Charles Henry Delson Leal qui naquit à Maurice en 1829 est tout à fait différent. Enseignant à Flacq puis journaliste, il fut rédacteur en chef pour La Sentinelle et, adversaire de l’oligarchie sucrière, il prit la défense des hommes de couleur. En 1858 il devint directeur de la revue poétique La Croix du Sud et organisa une souscription pour venir en aide à Lamartine accablé de dettes. Cette année là, il dit qu'il reçut une lettre du grand poète qui le remerciait par un quatrain[iv] des quelques piastres et de la pièce de vers que Leal lui avait envoyée. En 1869 il a l'honneur de représenter l'île Maurice lors de l'ouverture officielle du canal de Suez. Enfin en septembre 1877, il se rend à l'île de La Réunion alors qu'il vient de divorcer, mais ce n'est pas son premier séjour (le plus ancien semble dater de 1846). Charles Henry Leal et Charles Vigoureux de Kermovan, tous deux conseillers municipaux de Port-Louis, accompagnés de l'épouse de ce dernier et de deux domestiques, Joseph et une servante, s'embarquent à bord du Godavéry, paquebot des Messageries Maritimes qui fait la ligne Port-Louis – La Réunion – Seychelles – Aden et Marseille par le canal de Suez. Ce voyage d'agrément devait conduire nos vacanciers à Cilaos et à Hellbourg pour y prendre les eaux. Un an plus tard, en 1878, Leal publie, à la General Steam Printing Company de Port-Louis, le récit de ce voyage sous le titre Voyage à La Réunion. Récits, Souvenirs, et Anecdotes[v], avec quatre pages de publicité pour les plants de caféier du Liberia et deux lithographies signées Evenor Crook (un portrait de l’auteur et une carte de La Réunion).

Ce texte qui paraît sur le tard, puisque Leal mourut à Beau Bassin (île Maurice) en 1883, s'adresse essentiellement aux Mauriciens qui voyagent à La Réunion. L'auteur[vi] prend bien soin d'indiquer le nombre de kilomètres parcourus, la durée de chaque étape et l'état des routes. Il renseigne également sur le prix des transports, de l'hébergement, des repas et autres frais, la qualité de l'accueil etc. Dans la première partie, il se fie en permanence au rapport établi par la Commission qui a visité Cilaos en 1862 et auquel il emprunte de nombreux relevés topographiques et économiques. Ces éléments donnent au récit les allures d'un guide tout à fait classique. Le texte se présente en deux volets symétriques composées de 7 chapitres pour les Quartiers sous le vent et de 6 pour les Quartiers du Vent. Chaque partie correspond en fait aux deux principales destinations retenues dans ce périple, le cirque de Cilaos tout d'abord et celui de Salazie ensuite où se trouve Hellbourg[vii].

Leal aime expliquer sa démarche qui repose en grande partie sur toute une série d'emprunts jugés incontournables par la précision et la qualité de leurs contenus. Dès le départ donc, le principe est exposé :

 

Nous nous mettrons à l'œuvre, dès demain, et nous consacrerons deux heures chaque jour, à la reproduction de toutes les pages qui doivent nous instruire et nous récréer, sans omettre de parsemer nos notes des faits les plus saillants qui se dérouleront pendant notre séjour aux eaux.” (p.77)

 

Ainsi, le pillage est constant et s'affiche sans ambiguïté comme un acte banal et qui va de soi : “J'emprunterai ces notes d'une notice historique sur Bourbon que j'ai sous la main” (p.151), “Pour décrire ces régions il faut la plume magique de M. Héry...” (p.257), “Mes lecteurs me seront gré de leur fournir des notes plus détaillées sur le volcan. Ces notes sont d'autant plus précieuses qu'elles ont été prises par M. Maillard, ingénieur de premier rang, qui a habité la Réunion pendant plus de vingt ans.” (p.277), “Je m'abstiens de rien consigner ici à cet égard, parce que Mandouc a mis entre mes mains les feuillets d'une histoire qui sera lue avec beaucoup plus d'intérêt que tout ce que je pourrais écrire et dont les descriptions sont d'une rigoureuse exactitude.” (p.289) On notera que l'identité des auteurs consultés est précisée avec une certaine irrégularité et que Leal ignore ce qu'est une référence bibliographique ! (p.93). Manifestement complexé vis à vis des auteurs qu'il cite, Leal s'avoue moins avisé et moins instruit. Il a le sentiment qu'il n'a pas la carrure pour les égaler et préfère se retrancher derrière des emprunts presque systématiques. Malgré cette réticence il ose de temps en temps écrire faisant preuve de quelques originales audaces avec des paysages nocturnes et cosmiques qui mêlent à la description topologique une prose poétique un peu désuète et sans grand caractère[viii].

Ainsi, la description des paysages bourbonnais, dont Leal souhaite proposer à ses lecteurs une représentation exemplaire, forme le projet central de ce récit de voyage. En journaliste de terrain, il transpose le modèle de l'image photographique en modèle rhétorique[ix] et tel un dessinateur ou un peintre, il recherche le point de vue le mieux approprié pour dresser une sorte de texte-croquis de ses observations :

 

J'avais trouvé toute une installation naturelle pour écrire ou plutôt décrire les admirables points de vue qui se déroulaient au loin [...]. J'embrasse d'ici, toute l'île de la Réunion et c'est d'ici, à 2600 mètres et presque au sommet du Piton des Neiges que je vais fournir ma première description de l'île de La Réunion.” (p.79)

 

Si le voyage est bien l'occasion de lectures, d'observations et de rêveries, Leal n'a pas souhaité en rester là. Il considère La Réunion comme le “sol béni de la patrie de Parny, de Bertin, de Lacaussade et de Leconte de Lisle.” A côté des plus célèbres poètes créoles du XVIIIe siècle, il accorde à Lamartine une place de choix, mais évoque aussi quelques poètes locaux[x], tels Esménard[xi], Gabriel Couturier (connu de Lamartine), Eugène Dayot[xii], Etienne Azéma, Célimène[xiii], François St. Amand[xiv] et le Saint-Pierrois Ernest Cotteret[xv]. Leal considère donc la Réunion comme l'île des poètes par excellence tant les “rivages” sont favorables "aux inspirations poétiques" (p.131) :

 

“Quel est celui qui, animé du feu sacré, n'aimerait à chanter cette riche et belle nature, ce ciel toujours limpide et frais, ces brises molles et parfumées, ces montagnes si pittoresques, ces mœurs de diverses castes d'hommes si différentes de celles de l'Europe, cette mer tantôt furieuse, tantôt calme, qui porte à l'âme des terreurs ou des mélancolies si propres à l'inspiration?” (p.131)

 

“Qu'il suffise donc au lecteur de savoir que le ciel, le soleil, l'atmosphère, les montagnes de Bourbon sont des sources d'inspiration et que, par ce fait, la poésie est d'essence réunionnaise. Les femmes, elles-mêmes, se laissent dans ce pays là, aller à tous les élans de l'inspiration poétique.” (p.135)

 

Il n'hésite pas à placer en tête de ce chapitre sur l'île des poètes une élégie de Parny qu'il désigne comme un des “plus beaux joyaux de la littérature française” et dont l'attrait consiste dans ce “cantique d'amour qui réunit toutes les propriétés séraphiques de l'hymne de l'ange au seigneur, de l'huile sainte qui déborde du vase sur l'autel de la prière et de l'encens sacré qui s'élève en spirales de fumées dans l'éther” (p.133). En dépit d'une grandiloquence exacerbée, la mystique est évidente.

Au cœur de ce “pittoresque voyage” (p.198), le site de la Mare à Poules d'Eau, dans le cirque de Salazie, conjugue d'une part cette extase esthétique du paysage naturel dont la composition est savamment évoquée à la manière d'un tableau, et rappelle d'autre part le grand poème lamartinien. Cette mare devient le lieu privilégier d'un spectacle excep-tionnel, celui d'un plan d'eau exotique considéré comme un “lac alpestre” (p.212), prolongé et amplifié par la muse créole d'Auguste Lacaussade qui, avec ses Salaziennes[xvi] a su rendre la poésie “naturelle” du lieu :

 

Mare à Poules d'Eau, dont aucun peintre, aucun poète, aucun narrateur ne pouvait vous offrir une description exacte, tant la nature s'est complue à réunir, en un faisceau, tout ce qu'elle peut rallier d'agréables perspectives et de suaves paysages. Cette mare, du point où nous sommes, enclavée comme elle l'est, dans les profondeurs d'une vallée étendue, dont les parois sont tapissées d'arbres et d'arbrisseaux aux fleurs les plus nuancées, miroitantes, chatoyantes au soleil de midi, cette mare [...] semble être encaissée dans les montagnes qui la surplombent de toutes parts. Nul doute que ce soit là le cratère d'un volcan éteint.” (p.211)

 

Un peu plus loin :

 

La Mare à Poules d'Eau m'attire. Impossible de résister à la pensée d'aller l'admirer de plus près, à l'heure où l'aurore craintive ouvre au soleil son palais enchanté. Je descends, et pour descendre je me sens comme entraîné par une main invisible. En moins de vingt minutes, j'étais au bord de ce lac que Lamartine, lui-même, qui a chanté Elvire, n'eut pas dédaigné de décrire avec la plume qu'il avait arrachée à l'aile d'un séraphin, pour la tremper [...] dans les rayons d'or du soleil source éternelle de ses divines inspirations. Que c'est joli, que c'est beau, que c'est grandiose, que c'est merveilleux ! Cette Mare à Poules d'Eau émerveillerait les touristes les plus renommés de l'Europe.” (p.227)

 

Le chant continu de la poésie élégiaque célèbre le spectacle de la nature. Ainsi, la géologie volcanique du Piton de la Fournaise se dresse dans une strophe du poète bourbonnais, Etienne Azéma[xvii]. Deux vers de Parny[xviii] complètent l'article botanique sur l'attier[xix] ; l'article sur l'ananas est mis en correspondance avec quatre vers d'Esménard[xx] qui précèdent une lettre de Parny adressée à Bertin en 1775 accompagnée d'une strophe de 12 alexandrins entrecoupés de deux octosyllabes[xxi]. La célèbre Jambrosade[xxii], rappelle le “souvenir” de deux poètes réunionnais, Bertin[xxiii] et Lacaussade[xxiv], et de deux poètes mauriciens, Charles Castellan[xxv] et Vigoureux de Kermovan[xxvi] “qui a été poète a ses heures.” Ces différents jeux de correspondances débouchent sur un ensemble de réminiscences poétiques que le récit de voyage réveille pas à pas pour en dresser les plus beaux morceaux d'une vivante anthologie[xxvii].

La notion de pèlerinage littéraire dans le contexte du récit de voyage à la Réunion au XIXe siècle met en évidence un phénomène tout à fait intéressant. Leal a en effet évacué toute l'approche mythique héritée de l'imagerie culturelle élaborée dès le 16e siècle et qui a nourri les récits de voyages jusqu'à la fin du 18e siècle. Désormais, les poètes ont remplacé les voyageurs dont les représentations en partie légendaires ne correspondent plus à la sensibilité d'une expérience qui puise ailleurs ses ressources se faisant l'écho d'autres souvenirs... En contrepoint aux annotations administratives et pragmatiquement touristiques, Charles Leal laisse libre cours à une expression littéraire inspirée des poètes de souche bourbonnaise ou dont l'œuvre locale raconte le mieux cette connivence entre un lieu et le texte qui s'y rattache. La filiation poétique est le signe d'une modernité qui s'exprime par le rejet des anciens modèles de l'île-paradis et de l'île-enfer pour prolonger un regard plus sensible aux harmonies de la nature, du cœur et de l'âme. Les poèmes de Parny, Bertin, Lacaussade, Leconte de Lisle et Lamartine s'imposent comme de nouvelles grilles de lecture, comme de nouveaux miroirs dans lesquels l'inspiration poétique s'accorde avec un paysage revisité, pour donner de l'île Bourbon une vision fidèle à la poésie de ceux qui l'on chantée. En poeta viator, Charles Leal accomplit un pèlerinage intérieur qui n'apparaît pas directement dans le périple mais qui accompagne de ses accents les émotions les plus fortes dans lesquelles le voyage d'agrément puise une couleur et une profondeur inhabituelles. L'île tout entière dont tous les versants constituent les parois d'une caisse de résonance gigantesque, se lit comme un recueil de poèmes. Chaque composante de l'île décline une part de l'énoncé poétique dont la mélodie rythme la visite. Le voyage à la Réunion se transforme ainsi en une célébration littéraire de poètes qui l'ont eux-mêmes parcourue sinon physiquement du moins poétiquement.

 

 

Voyage à Rodrigues : un pèlerinage aux origines de l'écriture

 

Le cas de Jean-Marie Le Clézio à l'île Rodrigues constitue une troisième alternative, à la fois la plus complexe et la plus épurée du pèlerinage littéraire. L'écrivain effectue un voyage sur les traces de son grand-père qui a cherché pendant plus de trente ans un trésor qu'il n'a jamais trouvé :

 

“Pendant toutes ces années, chercher, creuser, tracer inlassablement la même carte de l'Anse aux Anglais, dessiner la même courbe de la rivière, placer les points des organeaux, mesurer les angles, situer les points les uns après les autres, point E, point O, point F, point (delta), point M, point R, point Z, et les points de sondage, 122, 174, 166, interroger sans fatigue pendant trente ans le même paysage, quelques arpents de broussailles et de marécages, jusqu'à connaître chaque rocher, chaque pli du terrain, chaque ravin, [...] tout cela est extraordinaire et ne peut pas ne pas avoir de sens. Alors le paysage devient lui-même miroir, et je veux entrevoir ici, sur cette terre, sur ces pierres, dans la ligne des collines desséchées, comme le visage et l'ombre de mon grand-père, ineffaçables.” (p.26)

 

De ce parcours, facilité par les archives de l'ancêtre conservées dans un vieux classeur en carton sur lequel la tante de Le Clézio avait écrit “papiers sans valeur” (p.124) (sic) et qui contenait des “lettres, cartes, plans, schémas, messages codés et cryptogrammes,[...] graffiti et [...] calculs [...] en marge” (p.79), naîtront un récit de voyage et un roman. Entre le Voyage à Rodrigues[xxviii] et Le chercheur d'or[xxix], se dessine une forme tout à fait originale de pèlerinage non pas littéraire au sens habituel du terme mais qui entretient avec la littérature et le voyage une relation essentielle et tout à fait exceptionnelle.

Si l'on part du principe que le pèlerinage littéraire est effectif lorsqu'un texte rencontre un lieu et que l'expérience du lieu nous ramène au texte, alors ce va et vient pérennise une relation tout à fait originale. Or, l'île Rodrigues n'est le lieu d'aucun texte littéraire, du moins Le Clézio n'en convoque aucun qui puisse exercer précisément ce rôle déterminant dans le processus créatif qui l'anime. Cependant, de nombreux récits de voyages tissent la toile de l'univers de référence indianocéanique dans lequel se situe l'expérience. L'île Rodrigues figure en effet sur les cartes aux trésors des pirates et flibustiers qui croisèrent dans ces eaux aux 17e et 18e siècles entre les Mascareignes et l'île de Sainte-Marie au nord-est de Madagascar ; de plus ses roches portent la trace d'inscriptions signalé-tiques censées guider le voyageur vers les cachettes où sont enfouis les trésors de ces fascinants écumeurs des mers. L'île tout entière est une roche écrite, un cryptogramme épigraphique qu'il faut explorer et décoder pour trouver le secret qu'elle renferme dans le mystère de ses messages.

Le voyageur suit donc les indices, pas toujours faciles à déceler en tant que tels, procède par calcul à une série d'interprétations, revient souvent en arrière pour emprunter d'autres pistes et se perd peu à peu dans le dédale de ses élucubrations, tourne en rond sans rien voir du monde qu'il explore en quête de ce qui doit demeurer invisible. Cette forme de voyage épuré, sans autre aventure que celle spéculative d'une analyse complexe dont le langage mythique est celui des tables des fameuses Clavicules de Salomon[xxx], considère le monde comme un domaine qu'il faut arpenter systématiquement et avec méthode pour avoir une chance d'en déceler la clef. Le Clézio reproduit ici, à une moindre échelle, le contexte dans lequel se sont retrouvés les premiers découvreurs qui s'aventurèrent dans ces régions. Pour trouver leur route ils ont dû être attentifs à tous les signes que la nature de la mer, des vents, des reliefs, des étoiles, des oiseaux leur communiquaient indirectement. Pas à pas, apprenant la langue des courants et des températures ils ont compris le message. Ils étaient Portugais bien évidemment et plantèrent sur les promontoires des caps, bien en vue, des stèles[xxxi], appelées padrao, pour marquer un territoire dont ils ont peu à peu dessiné les contours. Les cartes ont repris un temps ces emblèmes pour signaler symboliquement chaque nouvelle possession. Mais le monde n'appartient pas qu'aux hommes porteurs de la bannière aux sept châteaux d'or. D'autres, rebelles ou renégats, pirates ou flibustiers ont fait la course en marge et ont tissé d'autres réseaux de communication. Leurs stèles ne portent la couronne d'aucune nation et sont au contraire dissimulées au fond des ravines, et leurs inscriptions écrites au dos des pierres, sur les parois d'une caverne... Naviguant dans l'ombre, leur sceau est souterrain.

Avec le Voyage à Rodrigues, Le Clezio accomplit métaphoriquement ce travail du voyageur en qui sommeille toujours un chercheur d'or. De quel pèlerinage s'agit-il sinon d'un pèlerinage aux sources du voyage, aux origines de l'aventure humaine, là où tout a commencé ? Vers ce chiffre[xxxii] magique d'une équation de pierres reliées entre elles par le rêve fascinant de merveilleuses richesses. Alors que le voyage génère habituellement un récit, ici, le voyage se fait sur les traces d'un récit écrit de roches en roches... Le Clézio en inversant les données du sujet, interroge le sens du voyage et le sens de cette écriture pérégrine. Le récit de voyage raconte donc l'histoire d'une lecture pour tenter d'en déchiffrer les significations : le monde n'est ainsi qu'un texte déjà écrit que l'on parcourt comme un livre[xxxiii]. Mais quel est l'intérêt de ce récit renouvelé d'un texte fragmenté qui, la plupart du temps, avoue son incapacité à résoudre ses énigmes ? La mise en abîme révèle peut-être l'impossibilité pour l'homme de comprendre le monde qu'il rencontre et qui lui demeure irrémédiablement étranger, même lorsqu'il s'inscrit dans la quête généalogique d'une famille éclatée dans l'exil et d'une enfance que l'on veut ranimer. Dans cette absence, le voyageur désincarné demeure étranger à lui-même n'ayant pu trouver, au terme de ses multiples opérations, que des chiffres sans résultat et des lettres sans nom.

Le Voyage à Rodrigues est donc un voyage qui se concentre sur lui-même, pour dénoncer sa vacuité ; il se déroule comme un voyage à l'envers qui ne mène nulle part. Le lieu du pèlerinage est en effet une sorte de non-lieu. Peut-être est-ce là le véritable sens du pèlerinage... ? Le pèlerinage se confond dans la quête et dans l'épreuve d'une île qui résiste et d'un texte définitivement pétrifié. Ainsi, au terme de ce voyage initiatique, “le chercheur de chimères laisse son ombre après lui.” (p.26)

 

 

 

De ce rapide parcours dans l'archipel des Mascareignes, on mesure à quel point le récit de voyage emprunte à la littérature ses itinéraires, ses paysages et ses émotions. C'est le cas des îles Maurice et de la Réunion au 19e siècle, tributaires de l'identité romanesque ou poétique qui constitue une part essentielle de leur héritage culturel. Le cas de l'île Rodrigues, cette île déshéritée, nous conduit hors des sentiers battus, sur les traces de ceux qui, pirates des mers ou corsaires inconnus, ont gravé quelques caractères au dos des pierres, pensant sauvegarder à jamais leur fortune. En se rendant à Rodrigues, Le Clézio accomplit ce décentrement référentiel : il s'éloigne d'une intertextualité qui fait écran, et revient aux origines de l'écriture du monde. L'objet du pèlerinage ressemble à la pierre[xxxiv] que Bibique[xxxv] a retrouvée près de la Ravine à Malheur à La Réunion (figure 1) et dont Le Clézio rappelle la légende de La Buse[xxxvi], ce pirate censé avoir enfoui, avant sa pendaison, un trésor considérable... Cette pierre porte, profondément gravés, une croix au centre, un L renversé et un A au sommet pointu tels qu'on les retrouve dans le cryptogramme (figure 2) de La Buse conservé à la Bibliothèque Nationale[xxxvii]. Aujourd'hui, au cimetière marin de Saint-Paul à La Réunion, non loin du tombeau du prince des poètes Leconte de Lisle, la tombe de La Buse[xxxviii] fait l'objet d'un culte quotidien qui relève de la sorcellerie : on y "brûle des centaines de paquets de bougies par an, et son “esprit” y consume des milliers de paquets de cigarettes et y vide un nombre incalculable de petits verres de rhum"[xxxix]...

 

Sophie-Jenny Linon-Chipon

Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages

Université de Paris-IV Sorbonne

 

 

 

Illustrations

 

Figure 1 : La pierre de La Buse trouvée par Bibique aux abords de la Ravine à Malheur (île de La Réunion) : pierre de basalte gravée (photo de Jean Linon).

 

Figure 2 : Le cryptogramme du pirate la Buse trouvé à l'île de Mahé : message chiffré supposé indiquer l'emplacement de ses trésors.

 

 

 



[i] L'expression est de Jean-Michel Racault, “L'écriture des pierres. Fiction généalogique et mémoire insulaire dans le Chercheur d'or et Voyage à Rodrigues de Le Clézio” [in] L'Insularité, Paris, L'Harmattan, 1995, p.383-392.

[ii] Imprimerie de David, rue du Pot de Fer, Librairie française de Ladvocat, n°195, galerie de Bois, Palais Royal. Nous avons consulté l'ouvrage publié par Mario Serviable et Jean Alby aux Editions Ars et Terres créoles dans la collection Mascarin, n°10, 1990. Pour éviter de multiplier les notes nous signalerons les passages auxquels il sera fait référence en indiquant les numéros des pages entre parenthèses.

[iii] La fortune iconique du roman Paul et Virginie a été établie par Paul Toinet dans le Paul et Virginie, Répertoire bibliographique et iconographique qui recense 450 vignettes gravées sur bois dans le texte, 29 grands sujets gravés sur bois, 7 portraits gravés sur acier, une carte gravée et coloriée comme le rappelle le conservateur du Musée Villèle, Jean Barbier. Les arts de la table témoignent aussi de cet engouement pour le roman de Bernardin de Saint Pierre. Au 19e siècle, la faïence fine dont la réalisation industrielle permet de démocratiser les arts de la table, reproduit, par décalcomanie, les vignettes des livres illustrés de Paul et Virginie. On trouvera de magnifiques illustrations dans Voyage aux mille et un trésors, Musée historique de Villèle, Conseil Général de La Réunion, 1996, p.20-28 (assiettes, sculptures, gravures, litographies et trois plaques d'imprimerie en bois de bout qui ont servi à illustrer l'édition Curmer.

[iv] “De l'amour du pays quand mon âme aigrie / Cherche une île où le sort aurait moins de rigueur / Je songe à toi, Maurice, et je dis / La patrie n'est ni l'air, ni le ciel, ni le sol : c'est le cœur.” Ce quatrain est cité sur la quatrième de couverture du Voyage à La Réunion dans l'édition publiée par Mario Serviable et Jean Alby aux Editions Ars et Terres créoles dans la collection Mascarin, n°9, 1990.

[v] Edition op.cit.

[vi] Leal s'est déjà illustré en 1861 par la publication d'un guide sur le port de l'île Maurice, guide qui parut sous le titre, Revue Générale du Grand Port.

[vii] Première partie. Chap.1 : En route pour Cilaos. Chap.2 : Le Souvenir des Marrons. Chap.3 : Vie quotidienne à Cilaos. Chap.4 : L'île des Poètes. Chap.5 : Vers St Pierre, capitale du sud. Chap.6 : Retour vers St Denis. Chap.7 : St Denis. Deuxième partie. Chap.8 : En route pour Salazie. Chap.9 : La vie à Hellbourg. Chap.10 : Randonnée vers Cilaos. Chap.11 : Retour à Hellbourg. Chap.12 : La faune et la flore de Bourbon. Chap.13 : Le départ.

[viii] “[...] imposante majesté de la nature au repos. Partout autour de nous, des blocs de montagnes qui semblent appuyer leurs sommets altiers contre les parois du ciel. Là haut des flocons de neige [sic] se promenant dans l'espace, se rapprochant, s'éloignant et laissant voir dans les éclaircies qui les séparent par moments, l'immensité du bleu firmament où scintillent d'innombrables étoiles qui simulent autant de paillettes d'or et d'argent sur le Royal manteau de l'Univers. A nos pieds, la Rivière du Bras-des-Etangs, roulant majestueusement ses eaux qui clapotent contre les rochers séculaires assis au fond de son lit et imitent le bruit de la mer, alors qu'elle vient déferler sur le silence de la nuit qui invite au recueillement, à la prière, au repos.”(p.43-45)

[ix] “C'est tout comme si je mettais sous les yeux du lecteur un tableau photographié de la nature vivante que j'admire en ce moment.” (p.230)

[x] Nous devons à Chantale Meure qui prépare une thèse à l'Université de La Réunion sur le voyageur Robert Challe, de nous avoir communiqué les informa-tions relatives aux poètes locaux.

[xi] Le poète réunionnais répertorié dans le Dictionnaire biographique de Bourbon semble être le fils ou un descendant de celui que Leal nomme Esménard : Esme Jean, vicomte d'Esménard, pseudonyme Jean d'Esme, né en 1893 à Shangaï, de famille réunionnaise, mort à Paris en 1966. A partagé son adolescence entre l'Indochine et l'île natale de sa famille.

[xii] “Auteur de Bourbon Pittoresque, Eugène Dayot (St Paul 1810-St Paul 1852) fut à la fois poète de la douleur luttant contre cette terrible maladie, la lèpre, et un journaliste engagé aux idées progressistes. Il fonde Le Créole en 1839, dans lequel il prend parti ouvertement contre l'esclavage et s'insurge contre la peine de mort. En butte aux idées trop conservatrices de la plupart de ses contemporains, devant faire face également à de lourds problèmes financiers, il se sépare de son imprimerie en 1843. Neuf ans plus tard il succombe à son mal.”, notice 12, p.15, extraite de Voyage aux mille et un trésors, Musée historique de Villèle, Conseil général de La Réunion, 1996, 80p.

[xiii] Célimène JEAN (épouse Gaudieux), 1806-1864, chansonnière, épouse en 1839 l'ex-gendarme Gaudieux. Installés à La Saline-les-Hauts, ils ont cinq enfants. A la mort de son mari en 1852 elle se retrouve sans ressources et devient aubergiste cantinière. Elle anime les lieux avec sa guitare et ses chansons mordantes. Tous les notables de passage se font un point d'honneur de la rencontrer et de signer son livre d'or. “Je suis cette vieille Célimène / Assez laide mais non pas vilaine / Je n'ai point eu d'instruction ; / Légère en conversation,/ Je suis une une pauvre créole / Qui n'a jamais vu une école / J'ai la tête pleine de vers / Et je les fais tout de travers.”

[xiv] On connaît de lui les recueils de poèmes Les Bourbonnaises (Maurice, 1858), Douze fables (Réunion, 1874), La Navigation aérienne (Réunion, 1878), Art poétique d'Horace (Maurice, 1863), Les Vagabondes (Paris, 1865), Causerie historique sur l'île de la Réunion (Paris, 1881).

[xv] Né à La Réunion en 1833 il y meurt en 1854. On connaît de lui Les sensitives (Réunion, 1862) et L'Amour et l'Argent, roman publié à Maurice par Charles Leal dans la revue La Croix du Sud.

[xvi] Recueil de poèmes publié en 1839.

[xvii] “J'aime les mille colonnes/ Du basalte noir et dur, / Qui tantôt jaillit en cône / Et tantôt se dresse en mur. / J'aime les rocs volcaniques / Taillés en larges portiques, / Les grottes, les basaltiques / Que le feu sculpte au hasard : / Sublimes architectures / Dont les formes, Les figures, / Le disputent aux peintures / Les plus brillantes de l'art.” (p.276)

[xviii] “Sur ce coteau, l'atte pierreuse / Livre à mon appétit une crème flatteuse.” (p.303)

[xix] De la famille des Annonacées, l'Annona squamosa autrement dit atte ou zatte est d'origine tropicale et a été importé de l'île Maurice à Bourbon au 18e siècle. Cet "arbrisseau de 2 m environ a un ramification étalée. Les feuilles sont alternées, lancéolées et caduques. Le fruit est généralement ovale ou conique, de 5 à 10 cm de diamètre, jaune verdâtre, à surface écailleuse. La pulpe blanche sucrée contient des graines noires brillantes." in Guide des fruits tropicaux / La Réunion Maurice Mayotte, textes de Jean-Max Hoarau, illustrations de Mireille Burglin, Azalées éditions, s.l.n.d., p.15. Parny parle d'une "atte pierreuse" car cet arbuste rustique s'accommode de sols secs de pierraille.

[xx] “L'ananas parfumé, dont les vives odeurs / Rappellent tous nos fruits et remplacent nos fleurs, / S'élevait à la fois sur ce brillant rivage. / Alvar en admirait la richesse sauvage.” (p.306)

[xxi] “Tu veux donc, mon ami, que je te fasse connaître ta patrie ? / Tu veux que je te parle de ce pays ignoré que tu chéris encore parce que tu n'y es plus ? Je vais tâcher de te satisfaire en peu de mots. / L'air ici est très sain, la plupart des maladies y sont totalement inconnues, la vie est douce, uniforme et par conséquent fort ennuyeuse ; la nourriture est peu variée ; nous n'avons qu'un petit nombre de fruits, mais ils sont excellents. / Ici ma main dérobe à l'oranger fleuri, / Ces pommes dont l'éclat séduisit Atalante ; / Ici l'ananas plus chéri, / Elève avec orgueil sa couronne brillante ; / De tous les fruits ensemble il réunit l'odeur ; / Sur ce coteau, l'atte pierreuse / Livre à mon appétit une crème flatteuse ; / La grenade plus loin s'entrouvre avec lenteur ; / La banane jaunit sous sa feuille élargie ; La mangue me prépare une chair adoucie ; Un miel solide et dur pend au haut du dattier ; / La pêche croit aussi sur ce lointain rivage ; / Et plus propice encor, l'utile cocotier / Me prodigue à la fois, le mets et le breuvage.” (p.306-307)

[xxii] De la famille des Myrtacées cet arbre d'origine indo-malaise peut atteindre 10m de haut a été introduit dans les Mascareignes avant 1754 et à La Réunion avant 1800. “Ses belles fleurs jaunes blanches s'ouvrent comme un pompon. Les fruits de la taille d'une prune, de couleur jaune, rosé, disposés en grappes, portent à leur extrémité le calice desséché.” in Guide des fruits tropicaux, op.cit., p.67.

[xxiii] “Plus belle encor, la simple Jam-rosade / Reine des fruits, a les vives couleurs, / Le doux parfum de la reine des fleurs.” (in Leal, p.314)

[xxiv] “Mes yeux cherchent en vain notre enclos de Jam-roses.” (in Leal, p.314)

[xxv] “Au temps où mûrit la Jam-Rose / Avec amour je cueillerai / Le fruit blanc pour sa lèvre rose, / Et s'il en reste quelque chose / Après elle j'en goûterai.” (in Leal, p.315)

[xxvi] Leal cite un long poème de Vigoureux de Kermovan, La Confidence, dont nous ne citons que l'extrait sur la jambrosade : “Allez à la source voisine / Qui s'élance du noir rocher / Et roule à l'ombre des jam-roses / Entre deux tapis verdoyants / Où les fougères et les roses / Mêlent leurs parfums attrayants !” (in Leal, p.317).

[xxvii] On peut lire de Karl Lauret, Visite mon île... en poésie, publié en 1988 (2e édition) par la Région Réunion et le Ministère de la Culture, 144p., (nombreuses photos).

[xxviii] Nous nous reportons à l'édition Gallimard de1997 dans la collection Folio n°2949. L'édition originale date de 1986.

[xxix] Édition originale chez Gallimard en 1985. On peut consulter l'édition Gallimard de 1997 dans la collection Folio, n°2000.

[xxx] Le langage mythique des tables des fameuses Clavicules de Salomon, suppose que le monde est un domaine qu'il faut arpenter systématiquement et avec méthode pour avoir une chance d'en déceler la clef. Ce livre de magie faussement attribué à Salomon appartient à tout un courant occultiste qui a fleuri au 17e siècle et dont un manuscrit daté de 1641 et conservé à la Bibliothèque de l'Arsenal, en fait issu de la bibliothèque secrète du cardinal de Rohan, prince de Soubise : il confirme l'intérêt pour la chasse au trésor. Ce manuscrit est intitulé “De la manière d'interroger les intelligences à la manière pour découvrir où sera le thrésor cachéselon les Clavicules de Salomon.

[xxxi] Lire à ce sujet notre article, “La poétique des stèles : du padrao portugais d'Anossy (1508) au frontispice rodriguais de Leguat (1708)”, à paraître dans la Revue d'Histoire Maritime, Presses Universitaires de Paris Sorbonne, n°3, 1999.

[xxxii] A propos des chiffres lire l'étude de François Moureau “Chiffre et déchiffrement dans le Journal”, à paraître fin 1999 dans les actes du colloque Challe et/en son temps, [Université d'Ottawa, septembre 1998].

[xxxiii] Sur ces questions nous renvoyons aux analyses de Christine Montalbetti, “Entre écriture du monde et récriture de la bibliothèque : conflit de la référence et de l'intertextualité dans le récit de voyage au XIXe siècle” (p.3-16), ainsi que Joëlle Soler, “Un itinéraire à travers les textes : le Retour en Gaule de Rutilius Namatianus” (p.19-32), [in] Miroirs de textes : récits de voyages et intertextualité, Sophie Linon-Chipon, Véronique Magri-Mourgues et Sarga Moussa éd., Nice, Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, 1998.

[xxxiv] Photographie prise par Jean Linon. La pierre se trouve dans un recoin délaissé de la Mairie de la Possession à l'île de la Réunion.

[xxxv] Joseph Tipveau dit Bibique est devenu “Chercheur de trésors.”

[xxxvi] Le Clézio rapporte, p.108-109 le récit légendaire de La Buse.

[xxxvii] Voici la traduction approximative du cryptogramme de La Buse qui révèle peut-être une mystification : “1) prenez une paire de pigeon, virez les deux cœurs 2) 2 cœurs...tête de cheval....une Kort 3) fil winshient ecu prenez une cuillère 4) de mielle...outre vous en faites une ongat 5) mettez sur le passage de la...6) ...prenez 2 liv cassé&s sur le ch- 7) emin, il faut... toit à moitié couvé 8) pour empêcher une femme ... vous n'avé 9) qu'a vous serer la ... pour ve- 10) nir ... epingle ... juilet 11) ... faire piter un chien turq un 12) ...de la mer .. bien sécher sur.. 13) ... K'unne femme q- 14) (qui) veut se faire d'un ... 15) dans .... dormir un homme (e) r 16) ... faut rendre ... q 17) (q)u'un diffur (?)” in Bibique, Sur la piste des frères de la côte, s.l., Editions Orphie, 1988, p.125.

[xxxviii] Olivier Le Vasseur dit La Buse fut jugé à Saint Denis et pendu à Saint-Paul en 1730. Gui Viala a récemment écrit une biographie romancée de La Buse, publiée sous le titre La Buse, Olivier Levasseur dit La Buse. Un pirate dans l'océan indien, Les éditions du Paille-en-queue Noir, Saint-Paul (La Réunion), 1997, 138p. Dans un état d'esprit similaire, nous signalons l'ouvrage de Roclair, Le Roman de l'île Bourbon, qui retrace en partie l'existence des pirates et des corsaires à l'île Bourbon, Nanterre, Académie Européenne du Livre, 1992, 241p. Sur la thématique des trésors on consultera également d'Erick Surcouf, La Mer en héritage. sur la piste des trésors engloutis, Paris, Arthaud, 1992, 247p. (photographies couleurs), et de Daniel Vaxelaire, Trésors ! Le patrimoine caché de La Réunion, Saint-Denis (La Réunion), Editions Azalées, 1996, 254p. (nombreuses illustrations et photographies).

[xxxix] Bibique, op.cit. p.128.

 

 

 

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