Un voyageur-lecteur aux Indes :
Robert Challe
Chantal Meure
¦
L’Avertissement,
la lettre dédicatoire comme le texte lui-même du Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales de Robert Challe affichent
franchise, vérité et sincérité à la base du projet du relationnaire, présenté
comme “un homme fort dégagé des préjugés vulgaires; à qui les noms n’en
imposaient point; qui voulait voir par ses propres yeux, & ne juger que par
ses lumières.”[i] L’auteur apparaît ainsi comme un adepte de la méthode
cartésienne, un libre-penseur libéré du poids de la tradition et de tout ce qui
fait autorité, animé d’une indépendance d’esprit lui permettant de voir
réellement, donc de rendre compte de manière fiable et crédible: “Je
n’écrirai rien que je n’aie vu moi-même, ou du moins qui ne m’ait été assuré
par des gens dignes de foi, & dont la fidélité ne me paraîtra point
suspecte.”[ii] Si on doit reconnaître que le
pro-gramme annoncé est réalisé avec une certaine application, Challe précisant
très souvent ses sources et les circonstances de ce qu’il rapporte, le Journal d’un voyage fait aux Indes
Orientales ne se réduit pas pour autant à une description sèche et fidèle
de pays traversés et d’usages observés. La présence un peu envahissante des
livres dans ce récit de voyage réoriente peut-être le projet déclaré en
itinéraire intellectuel tout autant qu’ethnologique: d’une version à l’autre,
le diariste multiplie les références livresques et se livre à une réflexion sur
l’écriture et la lecture. La découverte des Indes Orientales se fait ainsi,
certes, par l’expérience directe des lieux et des hommes, mais aussi par “une perception médiate”[iii], celle de toute une “bibliothèque”, ouvrages concrets que le voyageur a emmenés avec lui ou découverts après
le voyage, ou textes engrangés dans la mémoire qui ne demandent qu’à resurgir
par la grâce de l’analogie ou de la simple association d’idées, pour le plaisir
de la connivence avec le destinataire, l’oncle ou le lecteur virtuel[iv].
Si ces références littéraires attestent bien entendu d’une formation et d’une culture que le voyageur exhibe avec une
certaine fierté, elles permettent aussi de saisir une pensée qui se
cherche dans l’affrontement aux autres et témoignent également d’un goût, d’un
jugement et d’un sens critique fortement ancrés dans une époque. La lecture du
monde s’effectue à travers le filtre d’une culture et d’une personnalité qui
revendique le droit à la singularité. En même temps qu’un récit de voyage, le
texte se révèle être un état des lieux des connaissances, des doutes et des
interrogations d’un représentant de la “crise
de conscience” qui marque
la fin du Grand Règne[v].
De
quel type de culture le Journal rend-il
compte? Challe s’intéresse à toutes sortes de sujets : littérature profane
et religieuse, science et philosophie, politique, droit. La solide éducation
classique qu’il a reçue[vi],
ainsi qu’une formation juridique[vii]
transparaissent dans le Journal.
Challe y donne la parole à un de ses anciens condisciples du collège de la
Marche, l’abbé Moussi qu’il aurait retrouvé en 1682 à Amsterdam, et qui
l’aurait introduit dans “une société de
gens de lettres & d’esprit, qui s’assemblaient deux fois la semaine.”[viii]
Ce discours, absent de la version originale et attribué à un abbé difficilement
identifiable, sent un peu le soufre et a tout l’air d’être un exercice par
lequel Challe fait part de questions
qui le préoccupent au moment de la réécriture de son journal. La façon dont
procède cette docte assemblée[ix] rappelle certains exercices de collège de l’époque et
surtout les séances de travail de la toute jeune Académie française en 1635[x]:
“après avoir
tiré au sort les thèmes de leurs conférences, chacun faisait un discours sur le
sujet qui lui était échu, sans pouvoir le changer avec un autre. Il avait un
temps fixe pour s’y préparer, tantôt huit, tantôt quinze jours & trois
semaines; mais cela ne passait pas le mois.”[xi]
Justement, l’Ecueil, le navire
sur lequel se trouve Challe, se trans-forme lui aussi bien souvent en petite
académie, lieu de rencontre entre honnêtes gens cultivant les belles-lettres,
où les débats érudits et scientifiques vont bon train et côtoient des
préoccupations plus épicuriennes. Il
se plaît à rapporter des scènes de “procès” intentés à bord. Si cette
théâtralisation permet d’installer le narrateur dans un réseau de relations et
un rôle propres à le valoriser, elles n’en montrent pas moins le goût du jeu
qui l’anime dans la vie comme dans l’écriture. Ces parodies de procès miment à
l’envi les lois du genre et utilisent un lexique et une syntaxe que Challe
connaît bien et qui intègrent la relation du voyage. En voici un échantillon
constitué par la proposition conclusive d’une plaidoirie[xii] :
“que je requérais que ce gingembre fût apporté à
l’office du dessert commun, sauf à la cour & à M. de la Chassée, procureur
général en icelle, à prendre pour la vengeance publique telle conclusion qu’il
aviserait bon être; & ce, afin que la peine qui serait infligée au coupable
empêchât que désormais pareil brigandage arrivât parmi les navigateurs mangeant
ensemble.”[xiii]
De nombreuses scènes sont ainsi jouées à bord et aboutissent en général
à la résolution d’un “problème” : corriger quelqu’un ayant outrepassé la
mesure, se faire offrir un alcool convoité. Challe donne à voir les différentes
étapes de ces mises en scène : le jeu des acteurs “concertés”, leurs
déplacements réglés comme dans un ballet, les dialogues :
“Après cela, M. de la Touche & le chirurgien, qui avaient le mot,
se sont approchés de Rickwart, qui avait le mot aussi. Ils ont fait comme s’ils
avaient été aux opinions; &, un moment après, ce Hollandais, qui ne parle
pas tout à fait bon français quoiqu’il l’entende bien, a prononcé ”[xiv]
Tout ceci rappelle
la place du théâtre dans l’éducation dispensée au collège[xv]et
surtout l’importance de la représentation dans la société de l’époque. Le petit
cercle de lettrés bons vivants fait montre d’un intérêt non dissimulé pour la
littérature. Même si la référence rabelaisienne que M. de la Chassée attache à
la manière de parler de notre voyageur a l’air de le flatter, il la met en
doute, se montrant ainsi fin connaisseur de ses classiques :
“Le rendez-vous est repris [...] pour boire chacun la mienne. Je me sers
des termes de frère Jean des Entommeures, à ce que dit M. de La Chassée; car
pour moi, je ne me souviens point de l’avoir ni lu ni vu dans mon Rabelais. Il
n’importe, nous boirons chacun la
mienne, ou chacun la nôtre, ou si le lecteur veut, chacun la sienne.”[xvi]
Plaisir
partagé, la littérature permet une complicité que l’on peut percevoir dans des
scènes telles que celle-ci :
“Notre aumônier a dit avec une espèce d’enthousiasme, soupirant,
levant les yeux au ciel, & d’un ton qui nous a tous fait rire,
Felix qui potuit rerum
cognoscere causas!
J’aurais bien pu ajouter la
suite. Ille
metus omnes strepitumque Acherontis avari subjecit pedibus,[xvii] mais
il s’en serait choqué, parce que je lui dis vendredi dernier qu’il ne me
paraissait pas avoir l’esprit fort tranquille pendant que nous allions vent
arrière: c’est que le vaisseau roulait que rien n’y manquait, & que le
pauvre prêtre poussait des nausées qui me faisaient rire. Il payait tribut à M.
Neptune: ce qui arrive à tout le monde; & effectivement, il faut avoir le
pied marin pour en être exempt.”[xviii]
L’érudition de l’aumônier appelle celle de Challe orientée vers le
burlesque qui naît du choc entre le prosaïsme de la situation évoquée et
l’élévation des propos. Se manifeste ici son esprit railleur, prompt à se
divertir du moindre fait et à tirer vers le comique ce qui pourrait paraître
tragique. Ce motif, évoqué par l’aumônier, de la chétive condition de l’homme,
incapable de se hisser vers la connaissance, mais que son orgueil démesuré
entretient dans une illusion fautive, revient souvent dans les conversations,
comme on le verra.
Le “cercle” est aussi lieu de transmission de textes. Des
vers appréciés peuvent être proposés à l’auditoire pour illustrer de façon
forte les propos débattus : le sonnet de Saint-Evremond que Challe dit
avoir ramené de Londres[xix]
vient couronner justement des réflexions philosophiques sur les faibles
lumières de l’homme et son “ridicule orgueil”, thèmes privilégiés du discours
libertin dans la tradition de Montaigne[xx]. Son
succès, immédiat, se manifeste par le désir de tous d’en garder une trace
écrite : “Comme il ne faut qu’un bon exemple pour se faire suivre, à
peine eus-je dicté ce sonnet à M. Charmot que chacun voulut en prendre copie.”[xxi]
Mais le navire est aussi lieu de production de textes que
l’on soumet à l’appréciation d’un public de connaisseurs. Robert Challe
s’essaie à la poésie à de nombreuses reprises. L’anniversaire de l’aumônier
donne lieu à un poème de circonstance, un “bouquet”, composé selon les règles
de la métrique et de la prosodie latines[xxii],
qu’on s’empresse de commenter et de critiquer :
“Il a prétendu que cette épithète exiguo était un terme outrageant
pour un homme vivant, & que c’était lui souhaiter la mort. Voilà le sujet
de la dispute, & qui a partagé tout ce qu’il y a de rhéteurs, de
grammairiens & d’humanistes sur le vaisseau, dont le nombre n’est pas petit.”[xxiii]
Challe non seulement cite, mais écrit et parle en latin. La langue de
l’élite est quelquefois utilisée pour rester entre soi et écarter les
importuns[xxiv].
La formation reçue comme les fréquentations littéraires - ou leur absence -
peuvent être un critère qui permet de juger les individus. A Saint-Yago, au
Cap-Vert, Challe s’entretient avec trois ecclésiastiques dont les humanités lui
semblent limitées:
“Ils parlent tous un latin
très mauvais, peu poli, &
point élégant: cela vient de ce qu’ils suivent plutôt les phrases plates des
nègres avec lesquels ils sont toujours que la phrase latine qu’on leur enseigne
en classe. Ils y sont assurément plaisamment élevés & instruits: on peut en
juger par la demande que me fit le sacristain, quel homme était Cicéron, que je
lui avais cité.”[xxv]
L’abbé de Choisy, qu’il ne cesse de quereller sur son Journal du voyage de Siam, se fait
tancer pour une référence au Polexandre de
Gomberville:
“roman d’une très édifiante lecture pour un ecclésiastique tel que M.
l’abbé de Choisy, qui dit dans son Journal du voyage de Siam que s’il
avait mis pied à terre, il aurait été saluer la belle Alcidiane. Est-ce à un
homme de son caractère de lire ces sortes de livres? & s’il a lu celui-là
étant jeune, est-il de son honneur de faire connaître qu’il s’en souvient? Il a
donné au public son journal de Siam; je conviens qu’il a voulu plaisanter
partout; mais ses plaisanteries ne sont pas du goût de tout le mon-de. Ce qui
pourrait convenir à un homme du siècle ne convient nullement à un homme de sa
robe, & d’un ministère aussi saint que le sien.”[xxvi]
On ne cite donc pas à la légère. La citation est un miroir de ce que
l’on est, de ce que l’on vaut: elle engage l’être tout entier. C’est dire
l’intérêt que représentent pour nous les références de Challe, lui qui n’arrête
pas de renvoyer aux textes.
Mais ces amateurs de belles lettres se lancent aussi dans
des discussions de physique ou de philosophie. Challe s’intéresse aux discours
sur les sciences: il n’y a rien là d’exceptionnel; l’homme de lettres de
l’époque est aussi un “savant” et les académies de province s’adonnent
volontiers à cette activité[xxvii].
Les questions de physique auxquelles le confronte la traversée, comme les
neiges éternelles, les brumes qui enveloppent les îles, l’illumination nocturne
de la mer sous l’équateur, l’eau, les volcans, la configuration de la terre et
les problèmes de navigation, font partie des débats qui rassemblent - ou
divisent - le cercle de lettrés qu’il aime montrer gravitant autour de lui. Les
dernières découvertes dans le domaine de la génération ou de l’astronomie sont
évoquées dans le discours de l’abbé Moussi. Le Journal rend compte de ces échanges à travers lesquels le voyageur
cherche à comprendre “les effets de la nature & les prodiges
qu’on y remarque.”[xxviii]
Il n’en ressort pas toujours convaincu. A l’issue de la discussion sur l’eau
qui vient des montagnes, Challe conclut :
“J’avais appris quelque chose d’approchant en physique: j’en trouve
le fondement bon & la conséquence juste; Cependant, quoique cela me
paraisse satisfaire la raison, mon esprit sceptique n’est point convaincu: il
est toujours dans le doute.”[xxix]
Challe rend compte d’un hiatus entre la connaissance théorique et
pratique, entre le savoir livresque et les faits révélés par l’observation.
Devant les énigmes de la nature que la science cherche à comprendre, il ose lui
aussi “hasarder des conjectures”. Pour ce qui est des volcans, le “feu
concentral” de Pline est rejeté pour des explications plus empiriques:
corruption de matières humides qui se transforment en matières combustibles,
comme ce qui se passe dans les meules de foin :
“Voilà mon sentiment sur cet article, qui me paraît tout aussi juste
que celui de plusieurs philosophes, qui peuvent aussi bien que moi avoir été
visionnaires sur ce sujet. Ils ont dit
leur pensée: je dis la mienne; & je ne m’en écarterai point qu’on ne me
donne des raisons tellement solides que je n’y puisse répondre, & que la
mienne en soit tout à fait convaincue.”[xxx]
Il prend ainsi
parti dans les débats qui secouent son temps. L’idée des animaux-machines
héritée de Descartes est fustigée et deux anecdotes les montrent doués de
raison - Challe décrit une stratégie mise en place par une compagnie de rats
pour voler des œufs de la réserve - ou de sensibilité, à l’instar des humains:
c’est l’histoire tragique de la guenon blessée qui meurt sans parvenir à se
faire comprendre du chirurgien.
Le
voyage est l’occasion de vivre des moments privilégiés d’échanges et de
reconnaissance entre beaux esprits, mais il permet aussi de mettre les
connaissances acquises à l’épreuve des faits et des autres. Il est le lieu
d’émergence d’interrogations, de doutes, qui assaillent le voyageur dès la
traversée de 1690-1691, mais plus encore lors de la reprise du texte pour la
publication. Les certitudes s’effritent, ce qui faisait autorité est soumis à
examen, tant dans le domaine profane que religieux. Mais une volonté de
comprendre, d’expliquer, anime le voyageur.
En dehors de ces discussions par lesquelles il cherche à
comprendre certains phénomènes encore énigmatiques, Challe avoue occuper le
long temps de la traversée au plaisir plus solitaire de la lecture, qui,
paradoxalement, le sauve de la solitude :
“saint Augustin, saint
Bernard, a Kempis, m’entretiennent sérieusement; ou je me divertis avec
Pétrone, Ovide, Horace, Juvénal, Corneille, Racine, Molière ou d’autres, qui ne
me laissent pas seul.”[xxxi]
Les textes lus remplissent deux fonctions : il y a ceux qui
conduisent à la réflexion, qui mènent à soi, et ceux qui distraient, qui mènent
loin de soi. Ces deux mouvements sont constamment présents chez Challe qui
semble jouer d’un équilibre entre les deux tendances. Les traces de ces
lectures sont visibles dans le Journal.
L’analogie, la comparaison, sont les figures par lesquelles la littérature rencontre la réalité. Des phénomènes de
superposition se produisent très souvent entre personnages référentiels et
fictionnels. Le seignor goubernador
de Saint-Yago, qui a droit à un portrait des plus pittoresques, “aurait fort bien représenté l’original du
portrait de Mascarille des Précieuses de
Molière”[xxxii]
; le lieutenant Bouchetière, “planté dans
un fauteuil” et “retroussant sa moustache”
figure “dom Quichotte profondément
enseveli dans ses imaginations ”[xxxiii]
; “Les négresses” de Saint-Yago rappellent “Tisiphone, Alecto et Erennis” ; les femmes de l’île
comorienne de Moali renvoient à la Bible et aux représentations de femmes se
rendant au puits. A l’issue du “procès” du lieutenant Bouchetière, tant décrié,
Du Quesne déclare qu’il ne croit pas “que jamais Arlequin ait fait un jugement
plus digne dans sa gravité.”[xxxiv] - manière de bien inscrire ces procès-pour-rire dans le registre
théâtral. Nombre de personnages littéraires circulent ainsi dans le texte,
donnant ici une touche à un portrait, là, illustrant de façon concrète des
réflexions métaphysiques. La prédestination est une idée qui ne rencontre pas
l’adhésion de Challe et sa conception d’une religion basée sur le libre arbitre
et la responsabilité des actions: c’est dans le théâtre qu’il puise un exemple
propre à étayer sa démonstration :
“Au premier cas de prédestination, nous ne sommes tous ni innocents
ni criminels, parce que nous ne faisons rien de nous-mêmes: pas plus que le
comédien qui représente Burrhus dans le Britannicus de Racine, ne mérite aucune
récompense pour sa droiture d’âme & la candeur des conseils qu’il donne à
Agrippine & à Néron: & que le comédien
qui représente Narcisse parfait scélérat ne mérite aucun châtiment; parce que
ni l’un ni l’autre n’ont rien dit ni
rien fait qui ne fût de leur rôle, & pour parvenir à la catastrophe que
Racine s’était proposée.”[xxxv]
Le theatrum mundi lui semble
une notion trop commode qui innocente l’homme en transférant toute la
responsabilité de ses comportements à Dieu. Le recours à la littérature ici a
paradoxalement pour fonction de concrétiser la pensée, de rendre le
raisonnement plus accessible. Les livres lus sont censés constituer un
patrimoine commun au narrateur et à son lecteur et ils intègrent comme
naturellement la relation que Challe fait de son itinéraire matériel et
spirituel.
La culture de notre voyageur est vaste et variée. Les
auteurs, textes, personnages cités ou évoqués vont de l’Antiquité gréco-latine
aux toutes dernières parutions du siècle, en passant par l’Italie et l’Espagne
pour la période de la Renaissance. La Bible, comme les récits de voyage, mais
aussi la poésie - lyrique ou satirique - le théâtre - comique et tragique, sans
oublier l’opéra à la mode - le roman - dans lequel on peut inclure les Mémoires
ou les ouvrages historiques dont il est
friand - la philosophie - avec une attirance pour les ouvrages de théologiens
ou d’apologistes - sont évoqués, parfois commentés dans le Journal. Les controverses religieuses qui opposent jansénistes et
jésuites, catholiques et protestants, “les disputes de l’école”[xxxvi]
sont suivies avec une passion mêlée de regrets pour l’image désastreuse
qu’elles donnent de la France à l’extérieur.
Il va sans dire que les récits de voyage des
prédécesseurs occupent une place de choix dans le Journal de Challe, grand lecteur de ce genre à la mode. Regrettant
la profusion des relations des jésuites et la rareté de celles des
missionnaires des Missions Etrangères, il avoue à son oncle Pierre
Raymond : “J’ai demeuré fort longtemps à Paris, sans
autre occupation que la lecture. Je crois avoir lu toutes les rela-tions qui
ont été imprimées, tant sur les terres que sur la religion.”[xxxvii] Parmi les récits évoqués, il y a ceux
qui constituent un fonds documentaire, comme la relation de Flacourt pour
Madagascar; ceux qui parlent des mêmes itinéraires, et des mêmes navires, comme
la relation de Chaumont, mais surtout le Journal
du voyage de Siam de l’abbé de Choisy qui fait l’objet d’un traitement
critique particulier[xxxviii];
ceux dont les propos viennent renforcer le discours patriotique ou
anti-ecclésiastique de Challe, les récits de Jean-Baptiste Tavernier d’une
part, de Dellon d’autre part; ceux enfin qui fournissent matière à raconter des
mœurs étranges propres à chatouiller la verve libertine du voyageur et à
réjouir le lecteur curieux. [xxxix]
Mais le voyageur n’a pas dans ses bagages que les récits
des voyageurs dont il emboîte le pas. Parmi les “lectures sérieuses” qui
l’occupent pendant la traversée se trouvent saint Augustin, saint Bernard et a
Kempis qu’il consulte alors que son esprit est assailli par des interrogations
métaphysiques. Peut-être se sent-il proche de saint Augustin, “ce grand docteur de la grâce”[xl],
celui des Confessions, analysant le
trouble dans lequel sa conscience est plongée. Mais la situation dialogique des
Soliloques semble également
correspondre à la volonté de Challe, dans le Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales, de trouver un
fondement rationnel à sa foi. Il
cherche en fait à concilier la prédestination telle qu’elle est définie par l’évêque d’Hippone et sa propre
croyance en le libre arbitre, malgré
les contradictions flagrantes que lui-même met au jour, jusqu’à ce qu’il
trouve un point de rencontre entre ses pensées et les propos du saint :
“Il veut le salut de tous les hommes en général, & de chacun en
particulier; mais il ne le veut pas d’une volonté absolue: il veut aussi que
chacun y contribue de sa part; & c’est dans ce sens que le même saint
Augustin dit que Dieu qui nous a faits sans nous ne peut pas nous sauver sans
nous. [Note marginale: Qui facit te
sine te, non potest salvare te sine te]”[xli]
Challe tire à lui saint Augustin pour confirmer le rôle actif qu’a le
chrétien dans le salut de son âme, rôle
plus rassurant et plus juste à ses yeux. Saint Bernard est quant à lui évoqué
lors d’une méditation sur la vie, sur l’âme immortelle et le corps corruptible,
et cette citation du chapitre IX des Méditations
: “Nihil est in me, corde meo
fugacius, in se ipso non potest consistere, hac & illac discurrit”.[xlii] rejoint le sentiment de trouble que
Challe ressent à ce moment-là :
“Tout ce furieux espace du passé, cet espace immense de l’avenir, qui
ne sont réunis ensemble à l’égard de mon âme que par le peu de jours que je
suis, très inutilement sur terre, me plongent également dans une obscurité dont
je ne puis pénétrer ni le principe, ni le progrès, ni la fin.”[xliii]
Chez saint Bernard, il retient la notion de mérite due aux œuvres, aux
actions et la possibilité d’un jugement équitable. Mais à deux reprises (I,145
et I,242), saint Bernard vient rappeler un principe sur lequel Challe revient
souvent, celui de la vanité des sciences, de la difficulté de l’homme à se
connaître et de la nécessité de s’atteler à cette tâche :
“Quid prosunt haec scripta, lecta, & intellecta, dit saint
Bernard, nisi temetipsum legas & intelligas? Da ergo operam, ut cognoscat te ipsum.”[xliv]
L’érudition risque d’aboutir à un pédantisme vain si elle éloigne
l’individu de lui-même au lieu de l’y conduire. Challe opte pour un va-et-vient
entre lecture et intelligence de son âme et lecture du monde qui l’attire
indéfectiblement. Les maximes spirituelles de la devotio moderna conviennent à son esprit, soucieux avant tout
d ’une religion du cœur, simple et étrangère à toutes les disputes
subtiles qui opposent Sorbonne, jansénistes et jésuites. L’Imitation de Jésus-Christ est un texte auquel il tient particulièrement[xlv]
et dans lequel il puise des éléments qui viennent étayer ses convictions :
“Je suis là-dessus comme Thomas a Kempis ou Jean Gerson[xlvi]
(on croit que c’est le même) est sur la componction : Malo sentire compunctionem quàm illius scire
definitionem.”[xlvii]
Challe est bien un homme de son temps, à la conscience troublée par les
découvertes scientifiques, les réformes et disputes religieuses, les examens de
la Bible qui ont mis à mal sa religion. Dans le journal transparaissent la culture
religieuse dont il est imprégné et surtout l’hésitation qui le tire tantôt du
côté de la contestation, de la critique
du texte sacré et des pratiques religieuses quelles qu’elles soient, tantôt du
côté de la recherche de quelques principes fondamentaux auxquels il voudrait se
retenir. Ses lectures de la Bible, des théologiens, des Pères de l’Eglise
soutiennent sa quête d’une religion épurée.
Son gallicanisme exacerbé le mène à condamner le dogme de
l’infaillibilité pontificale, et, dans le même mouvement, les jésuites ultramontains. En Inde, au
Canada ou en Europe, il se plaît à montrer leur vénalité, leur propension à
abuser de la crédulité, leur habileté à se sortir de toutes les situations. A
travers eux, il dénonce les abus dans lesquels l’Eglise est tombée et prône une
religion débarrassée de tout le fatras dogmatique et fabuleux, un retour à la
pureté de l’Evangile. En ce sens, il se rapproche des revendications
protestante ou janséniste, même s’il condamne les deux clans comme fauteurs de
troubles dont les effets ternissent l’image d’une France qu’il rêve exemplaire.
C’est ainsi qu’il n’hésite pas à afficher une certaine sympathie pour les
jansénistes en épousant notamment leur
critique anti-jésuite :
“Je vous avoue que quoique j’aie lu & relu vingt fois les Lettres
au Provincial, les Remontrances des curés de Paris & de Normandie, Vendrok
qui en est le commentaire, la Morale
des Jésuites[xlviii] &
leur Morale pratique[xlix],
je ne puis m’empêcher de les relire, & que j’y trouve toujours quelque
chose de nouveau & d’attachant, & rempli d’un certain sel qui charme
& enlève, & qui agite & remue en même temps la mémoire, l’esprit
& la conscience.”[l]
On retrouve dans le Journal bien
des éléments des Provinciales : le
personnage du père Valérian et sa formule “Mentiris
impudentissimè”[li],
la restriction mentale du jésuite Escobar, des casuistes de la Compagnie comme
Bauni, Sanchez et Jouvenci “tous gens
brûlables en bonne justice”[lii],
ou Caramuel[liii].
Une formule récurrente chez Challe, “prêcher Jésus-Christ et icelui crucifié” provient également des lettres de
Pascal[liv].
Mais en dehors de la polémique et du mordant des Provinciales, le pessimisme, la rigueur de la religion selon Pascal, sa condamnation du
divertissement et des spectacles sont loin des conceptions du relationnaire.
En matière de romans, Challe se moque du romanesque outré
hérité de l’Astrée, se dit choqué par
les amours “à la Céladon”
“parce [...] qu’un homme d’esprit ne
doit regarder les dames que comme un simple amusement, & que c’est une pure
folie de s’y attacher jusqu’à en perdre
le repos.”[lv]
Les invraisemblances du Polexandre de
Gomberville, la vogue des histoires turques dont il accuse Donneau de Visé
d’être l’initiateur, l’irritent. Mais la veine comique et satirique que l’on
trouve chez Rabelais, Cervantès ou Scarron a tous ses suffrages et correspond
bien à son tempérament. Il apprécie également les histoires, chroniques,
Mémoires qui s’ancrent dans un fonds historique: Quinte-Curce, Tacite, César,
Pétrone pour l’Antiquité, Pierre de l’Estoile ou Courtilz de Sandras pour les
plus proches. Les aventures, les épisodes romanesques sont plus crédibles sur
un fond d’histoire ou de réalisme social. C’est ainsi que les Mémoires
apocryphes fictifs attribués à des narrateurs connus tels que les Mémoires du Comte de Rochefort ou le Testament politique de Colbert de
Courtilz de Sandras sont des lectures qu’il sait goûter. Ce sont là des
tendances qui s’inscrivent bien dans la crise que connaît le roman à l’époque.
Challe apprécie, d’une part, les formules qui “font plus vrai”, qui font appel à un certain
réalisme que l’arrière-plan historique ou la narration personnelle peuvent
donner, d’autre part, ce qu’on a pu nommer “l’anti-roman”, fondé sur la satire, le burlesque, la parodie.
Il est aussi familier du théâtre et de l’opéra, genres
particulièrement prisés à l ’époque. La
comédie italienne, Scarron, Regnard, Boursault, Campistron, Montfleury,
Thomas Corneille viennent doubler certaines scènes ou prolonger des réflexions.
Le personnage de Gareau du Pédant joué de
Cyrano de Bergerac semble particulièrement apprécié, notamment pour son langage
patoisant, truffé d’approximations telles que “des exultations à la
turquoise” pour “des
exhortations à la turque.”[lvi]. Deux pièces de Corneille viennent
illustrer, Polyeucte, des réflexions
sur la religion et sur la grâce, Andromède,
la mort que l’on vient de frôler au cours d’une tempête. Le répertoire de
Racine est abondamment utilisé, mais Molière est celui qui est le plus souvent
cité: Le Malade imaginaire, Monsieur de
Pourceaugnac, les Précieuses ridicules, le Bourgeois gentilhomme, Don Juan,
Tartuffe, Amphytrion, l’Avare, le Misanthrope, trouvent tour à tour place
dans le journal. Des images de scènes théâtrales se superposent à la
description de ce qui se passe à bord des navires, où le roulis, par exemple,
donne aux hommes l’allure des précieuses ridicules par les contorsions qu’il
leur fait faire. Mais Challe est aussi un grand amateur d’opéra et le Bellérophon
de Fontenelle, Atys et Cadmus de Quinault trouvent des échos
dans sa relation . La description
de l’île d ’Ascension renvoie à un
décor de scène de théâtre :
“Excepté cette anse, tout le reste de l’île est bordée (sic) de
rochers caves, ruinés & mangés par les coups de mer qui viennent
incessamment s’y briser; ce qui forme partout un champêtre sauvage &
horrible, que tout l’art ne peut imiter, & qui cependant n’a pas laissé de
me rappeler l’idée de la décoration qui succède à celle d’un jardin, lorsque,
dans l’opéra de Bellérophon, Amisodar chante,
Que ce jardin se change en un désert affreux
En effet, le désert du théâtre donne une légère idée de celui-ci; mais
la nature surpasse l’art.”[lvii]
Challe vexé que Bouchetière lui ait demandé de s’embarquer immédiatement
alors qu’il se trouvait en charmante compagnie lui “chante au nez” un air de
l’opéra Cadmus de Quinault qu’il
adapte à la situation :
Allez, partez,
belle Hermione :
Allez exécuter
ce qu’un rat vous ordonne;
Et que le
diable aille avec vous.
Mais pour moi, laissez-moi en repos.[lviii]
Challe aime
aussi la poésie, la grande comme la légère. Pavillon et La Fontaine côtoient
les libertins Des Barreaux et Saint-Evremond dont il laisse un portrait plutôt
élogieux. Les Sonnets luxurieux de
l’Arétin et surtout les gravures qu’ils sont censés illustrer surgissent à la
vue des idoles d’un temple hindou. Il éprouve une attirance pour la poésie
satirique. On retrouve, parmi les textes cités le Poème maccaronique de
Jérôme Folengo, écrit en latin de cuisine; les satiriques latins, Perse,
Martial, Juvénal, Horace; Boileau qui revient pas moins de six fois. Mais deux
poètes remportent tous les suffrages, Virgile, et surtout Ovide qu’il appelle “mon cher Ovide”[lix], “le plus à mon goût des poètes latins.”[lx]
C’est souvent à partir du poète que vont naître des velléités d’écriture, la
poésie d’Ovide fécondant la verve poétique du voyageur. Challe est non
seulement grand lecteur, il se “mêle quelquefois de versifier.”[lxi].
Le Journal exhibe à plusieurs
reprises des créations poétiques naissant souvent de textes existants à partir
desquels Challe “laisse aller
sa plume”, ou écrites pour
marquer une circonstance. Voulant
donner la paraphrase de Job par Benserade, il la complète pour pallier
sa mémoire défaillante et écrit pratiquement lui-même une autre paraphrase de
la paraphrase. Chez Challe, lecture et écriture sont consubstantielles :
son journal s’écrit sur les traces des textes qui le touchent et le font
réagir.
Les références littéraires de Challe dans le Journal laissent voir un éclectisme
certain mais révèlent surtout des conflits entre des tendances contradictoires:
tensions entre dérision et gravité, satire et lyrisme, entre l’attrait de
l’imagination et du rêve - “l’homme cherche partout du merveilleux: il lui en faut”[lxii]
- et la volonté de revenir à la
réalité pour combattre le mal littéraire par excellence, le romanesque. Mais ce
romanesque que l’on fuit dans le roman est finalement apprécié dans les ballets
où la musique, le décor, les airs chantés
maintiennent le spectateur sous le charme.
Le voyageur-lecteur qu’est Challe déplace avec lui toute une culture à
travers laquelle il lit et dit le monde. Celle-ci est exhibée dans l’échange,
la communication entre des personnages choisis qu’on veut séduire mais avec
lesquels on cherche aussi à avancer dans la compréhension du monde et de ses
mystères. Trois réservoirs principaux: les écrits religieux, les auteurs
antiques, les productions modernes, nourrissent la réflexion ou la verve du
conteur qu’est Challe. L’intertextualité à l’œuvre dans le Journal nous ouvre les portes du musée imaginaire d’un écrivain,
non pas figé sur des collections arrêtées, mais pris dans une dynamique que la
réécriture du texte restitue. En effet, entre la première mouture du journal offerte à l’oncle bienfaiteur et sa
reprise dix-sept ans plus tard d’après ce qu’en dit l’auteur - mais le
remaniement semble s’étaler sur un temps assez long - l’actualité littéraire et
historique, les découvertes scientifiques pénètrent dans le récit du voyage,
l’enrichissant d’un regard plus mûr, plus panoramique mais toujours animé d’une
volonté de compréhension des phénomènes, mais aussi des hommes en général, et
surtout de soi. Ce texte composite reflète une conception du voyage comme
démarche intellectuelle basée sur l’observation directe, la vérification. Mais
Challe sait aussi jouer de la séduction du récit, d’une complicité qu’il
instaure avec le lecteur, des ressources d’une narration à la première personne
empruntant divers relais. La subjectivité éclate à tout moment, marquant
l’expérience vécue du sceau d’une singularité non pas isolée, mais profondément
porteuse d’un héritage à enrichir et à transmettre. Challe se réclame de la
démarche de l’auteur des Essais: “Je
donne mes obser-vations à la manière de M. de Montagne, non pour bonnes, mais
pour miennes.”[lxiii] Comme le genre choisi, le récit de
voyage, genre poreux, ouvert à toute virtualité, Challe apparaît comme un
homme-mosaïque, réceptacle de savoirs qu’il soumet à l’épreuve du voyage. La confrontation
du monde, de l’expérience individuelle et des livres finit par dépasser la
brutalité des premières constatations et mener vers un relativisme des valeurs.
Sous l’apparence d’une différence rédhibitoire affleure une analogie profonde
qui permet de mieux saisir le nouveau, de le réhabiliter, mais qui en retour,
“ouvre les yeux” sur le connu, le familier susceptibles d’une nouvelle lecture
parfois décapante. L’événementiel est ainsi relégué souvent au second plan
grâce à l’intertexte qui inscrit l’aventure dans une perspective plus vaste,
transcendant temps et espace, et gonflant l’entreprise individuelle de
l’expérience accumulée des autres.
Chantal Meure
Centre de Recherches sur la Littérature des Voyages
Université de la Réunion
[i] Robert Challe, “Avertissement” [in] Journal d’un voyage
fait aux Indes Orien-tales (février 1690 - août 1691), Paris, Mercure de France, 1983, 2 tomes. Seconde
édition mise à jour et augmentée, par Frédéric Deloffre et Melâhat
Menemencioglu, p. 55. L’édition
originale est de 1721, après la mort de l’auteur.
[ii] Robert Challe, Journal d’un
voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,
p. 61.
[iii] Formule reprise d’Adrien
Pasquali. Adrien Pasquali, Le Tour
des horizons. Criti-que et récits de voyages,
Paris, Klincksieck, 1994, “Littérature des Voyages”, p.57.
[iv] Une première version du journal, adressée à
Pierre Raymond, un oncle maternel, restée manuscrite a été découverte et éditée
par Jacques Popin et Frédéric Deloffre. Robert Challe, Journal Du Voyage des Indes Orientales A Monsieur Pierre Raymond,
Genève, Droz, 1998. La version remaniée, imprimée en 1721, peu après la mort de l’auteur, s’adresse à un lectorat
élargi, tout en gardant quelques
adresses à l’oncle.
[v] Paul Hazard, La Crise de
la conscience européenne.1680-1715, Paris, Fayard, 1961. Rééd. : Paris, Gallimard, 1968 et
Paris, Le Livre de poche, 1994, “Références”.
[vi] Pensionnaire au collège de la Marche, il y a effectué un cursus complet, c’est-à-dire deux années de
philosophie après la rhétorique. Il y a eu comme condisciple Seignelay, fils de
Colbert et futur secrétaire d’Etat à la Marine.
[vii] Vraisemblablement suivie à l’Ecole de Droit de Paris. Il est dit
“avocat” à la mort de son père et remplit les
fonctions de clerc chez l’avocat Monicault
en 1678.
[viii] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,113.
[ix] On remarquera son implantation à Amsterdam, lieu où la
libre-pensée peut se déployer sans crainte.
[x] Louis Gillet, dans l’article “Académie” du Dictionnaire des Lettres françaises XVIIe siècle, note que :
“dès le deuxième jour du mois de janvier 1635, avant même que les lettres de
l’établissement fussent scellées, on
avait dressé, par voie de tirage au sort et par billets, un tableau
des académiciens chargés de prononcer, de huit en huit jours, un
discours - à réciter ou à lire - sur
telle matière jugée par chacun la plus conforme à ses capacités du moment. La
règle fut observée d’abord ponctuellement. En sept semaines, il y eut sept
discours prononcés. Tout nouveau tout beau!” Louis Gillet, “Académie”
[in] Dictionnaire des Lettres françaises
XVIIe siècle, Paris, Fayard,
1996.
[xi] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,113.
[xii] Cette plaidoirie est
prononcée par l’écrivain de l’Ecueil, Robert Challe lui-même.
[xiii] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., II,216.
[xiv] Ibid., II,219
[xv] Dans ses Mémoires, Challe
explique ainsi sa présence chez la maréchale de Castelnau : “j’étais
acteur dans une tragédie de Racine que de jeunes gens de mon âge devions
représenter et qui la fut en effet.” Robert Challe, Mémoires [in] Mémoires. Correspondance complète. Rapports sur
l’Acadie et autres pièces. Publiées d’après les originaux avec de nombreux
documents inédits, Genève,
Droz, 1996. édition établie par Frédéric Deloffre avec
la collaboration de Jacques Popin, p.225.
[xvi] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,110.
[xvii] L’aumônier cite Virgile, Géorgiques,
II, 490. Traduction : “Heureux qui a pu pénétrer les causes des
choses.” Traduction de la suite qui vient à l’esprit de Challe : “Celui-là
foule aux pieds toute crainte et le grondement de l’avide Achéron.” Toutes nos
traductions sont reprises de l’édition signalée dans la note 1.
[xviii] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,97.
[xix] Lors d’un emprisonnement à
Londres, il dit avoir été secouru par Saint-Evremond.
[xx] “Ridicule orgueil” qu’on peut lire par
exemple dans ce passage de l’“Apologie de Raimond Sebond” Montaigne, Essais, Éditions Rencontre, 1968, chapitre XII, p.624 : “Car de faire la
poignée plus grande que le poing, la brassée plus grande que le bras, et
d’espérer enjamber plus que de l’estandüe de nos jambes, cela est impossible et
monstrueux. Ny que l’homme se monte au-dessus de soy et de l’humanité: car il
ne peut voir que de ses yeux, ny saisir que de ses prises.”
[xxi] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,99.
[xxii] Voir Frédéric Deloffre, “La culture latine de Robert Challe”
[in] Lectures de Robert Challe, Actes
du colloque de la Sorbonne (26-27 juin
1996), Paris, Champion, 1999,
p.13-24.
[xxiii] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., II,52.
[xxiv] “Notre conversation se faisait à table après
le dîner. Bouchetière & les autres nous écoutaient & ne comprenaient
rien à ce que nous disions, par la quantité de latin que nous lâchions.” Ibid.,I,97.
[xxv] Ibid.,II, 139.
[xxvi] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,99.
L’abbé de Choisy a effectivement noté, le 10 mars 1685, dans son Journal du voyage de Siam : “Nous les laisserons à gauche, ces îles
Fortunées, et nous ne sommes point résolus à quitter notre route pour chercher
l’île inaccessible. Ce me serait pourtant un grand plaisir de faire un peu ma
cour à Alcidiane.” Robert Challe, Journal du voyage de Siam, Paris,
Fayard, 1995. Présenté et annoté par Dirk Van der Cruysse, p.46.
[xxvii] Lors d’un séjour à Lyon, Challe a fréquenté des personnages en
rapport avec l’Académie de Lyon, tels Claude Brossette, Bottu de la Barmondière
ou Laurent Dugas de Bois Saint-Just.
[xxviii] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,157.
[xxix] Ibid., I,158-159.
[xxx] Ibid., I,161.
[xxxi] Ibid., I,93.
[xxxii] Ibid., I,132.
[xxxiii] Ibid., I,182.
[xxxiv] Ibid., I,83.
[xxxv] Ibid.,
I,109-110.
[xxxvi] Ibid., II, 164.
[xxxvii] Robert Challe, Journal Du Voyage des Indes Orientales A
Monsieur Pierre Raymond, op.cit., p.72.
[xxxviii] Je renvoie le lecteur à l’article de Jacques Popin, “Challe
contre Choisy” [in] Miroirs de textes.
Récits de voyage et intertextualité, Nice,
Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines
de Nice, 1998, p. 59-72.
[xxxix] Voir à ce propos l’étude de Jacques Popin. Challe
écrit :“Je crois avoir lu toutes les relations qui ont été imprimées.” Lectures de Robert Challe, Actes du
colloque de la Sorbonne (26-27 juin 1996), Paris: Champion, 1999. Etudes
réunies par Jacques Cormier.
[xl] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,103.
[xli] Ibid., I,108. Citation provenant des Sentences et instructions chrétiennes, 2732 : “qui ergo fecit te sine te non te justificat sine
te: Ainsi donc, celui qui t’a fait sans toi ne te justifie pas sans toi.”
[xlii] Ibid., I,111. Traduction : “Rien n’est en moi plus fugace
que mon cœur; il ne peut reposer en lui-même.”
[xliii] Ibid., I,111.
[xliv] Ibid., I,142. “A
quoi bon ces choses écrites, lues et comprises, si tu ne te lis et ne te
comprends pas toi-même? Ainsi donc applique-toi à te connaître.” Méditations, chapitre XVII, “De
brevitate vitæ hominis”.
[xlv] Dans sa lettre du 30 avril 1714 au Journal littéraire, il passe commande de la traduction en vers que
Corneille a faite de l’Imitation de
Jésus-Christ. Robert Challe, Mémoires,
op.cit., p.497.
[xlvi] Thomas a Kempis (Thomas
Hemerken, dit), écrivain mystique allemand (1379?1380?-1471). Il entra chez les
Frères de la Vie commune, composa de nombreux ouvrages de spiritualité et de
théologie; on lui attribue l’Imitation de
Jésus-Christ. Jean Gerson (1363-1429), chancelier de l’Université de Paris,
sermonnaire et théologien, auteur de la Consolation
de Théologie. C’est à tort qu’on lui a attribué l’Imitation de Jésus-Christ. Son chef-d’œuvre est le Sermon sur la Passion.
[xlvii] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., I,106. Traduction: « Je préfère
ressentir la componction que de savoir la définir. » L’attribution de l’Imitation de Jésus-Christ pose un problème qui n’est pas encore
résolu.
[xlviii] Livre de Nicolas Perrault, docteur en Sorbonne, frère de Charles et de
Claude.
[xlix] La Morale pratique des
jésuites est l’œuvre de Pontchâteau et d’Arnauld (Cologne, 1669-1695). Les
tomes V, VI et VII concernent les missions. Challe (F. Martin) rapporte une
anecdote sur les jésuites qui avaient transformé les talons pleins des souliers
du pays en talons creux qui leur servaient de coffrets pour loger les diamants
et pierres précieuses qu’ils trafiquaient. “Si
c’est ainsi qu’ils l’entendent, lorsqu’ils affirment avec tant de confiance aux
chrétiens d’Europe, & à leurs crédules dévots, qu’ils foulent aux pieds les
richesses des Indes, ils ont certainement raison; & on ne peut pas mieux
pratiquer leur morale pratique” Robert
Challe, Journal d’un voyage fait aux
Indes Orientales (février 1690 - août
1691), op. cit., II,149.
[l] Ibid., II, 160.
[li] Ibid., II, 118. Traduction : “Tu mens avec la dernière
impudence.” La formule est un leitmotiv de
la quinzième lettre des Provinciales,
Paris, Gallimard, La Pléiade, 1954, p.844-846
[lii] Ibid., II, 159
[liii]Caramuel, théologien espagnol (1606-1682). Il enseignait que les
préceptes du Décalogue ne sont pas immuables, et que Dieu peut, dans certaines
occasions, permettre, sinon recommander le vol, l’adultère, etc.
[liv] “Ainsi, ils en ont pour toutes sortes de
personnes, et répondent si bien à ce qu’on leur demande, que, quand ils se
trouvent en des pays où un Dieu crucifié passe pour folie, ils suppriment le
scandale de la croix, et ne prêchent que JESUS-CHRIST glorieux, et non pas
JESUS-CHRIST souffrant: comme ils ont fait dans les Indes et dans la Chine, où
ils ont permis aux Chrétiens l’idolâtrie même, par cette subtile invention, de
leur faire cacher sous leurs habits une image de Jésus Christ, à laquelle ils
leur enseignent de rapporter mentalement les adorations publiques qu’ils
rendent à l’idole Chacim-coan et à leur Keum-facum, comme Gravina, Dominicain,
le leur reproche » Provinciales,
op. cit. p.706
[lv] Robert Challe, Journal
d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., II,239.
[lvi] Le patois des Agréables
Conférences de deux paysans de Saint-Ouen et de Montmorency sur les affaires du
temps que Challe se plaît à reprendre fait appel au même type de comique: « Me voilà donc le Dépité de
Saint-Ouen, qui va faire
l’emblème. » Robert Challe,
Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales (février 1690 - août 1691), op. cit., II,236 Il ne s’agit pas ici d’un texte de théâtre, mais
de dialogues qu’échangent, en patois, deux paysans.
[lvii] Ibid., II, 226. Acte
II, scène 6, de l’opéra représenté à l’académie royale de musique, le 28
janvier 1679. Quinault avait fait représenter une tragédie portant le même
titre, à l’Hôtel de Bourgogne, en 1670.
[lviii] Ibid., I, 86. Acte
II, scène 4. Cadmus chante : “Je vais partir, belle Hermione: Je vais
exécuter ce que l’amour m’ordonne / Malgré le péril qui m’attend.”
[lix] Ibid., I, 67.
[lx] Ibid., I, 75.
[lxi] Ibid., I, 144.
[lxii] Ibid., I, 237.