Culture et fête à la fin du XVIIe siècle :
regards curieux sur la Chine du premier touriste
occidental, le Napolitain Gemelli-Careri[i]
Sylvie Requemora
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Bien avant les héros de Jules Verne, et comme tous ces voyageurs partis
autour du Monde sur les pistes de l’inconnu, le Napolitain Gemelli-Careri nous
propose le récit de sa circumnavigation, Giro
del Mundo, qu’il publie à Naples en 1699-1700. Le succès est tel que sa
relation est publiée plusieurs fois en Italie et vite traduite, en anglais en
1704 puis en français en 1719 par Le Noble[ii]. Les
particularités marquantes de son voyage sont nombreuses. D’abord la date :
à la fin du dix-septième siècle, faire le tour du monde ne va pas de soi, les
voyageurs vont généralement vers des destinations précises et pour des raisons
particulières. Ensuite, il s'agit du premier, du tout premier voyage autour du
monde fait par un particulier utilisant des “transports en commun” :
bateau, chaise à porteur, etc.
Né à Naples en 1651, Gemelli meurt vers 1725. Son portrait,
inséré dans sa relation, le présente très dignement avec cette
indication : “Le Sr Jean-François Gemelli Carreri, Jurisconsulte âgé de
48. ans en 1699”. Napolitain, docteur en Droit Civil, Gemelli passe ainsi
paradoxalement à la postérité comme le premier véritable “touriste” occidental
en Chine.
Comme la plupart des voyageurs subissant les suspicions de leurs
lecteurs, Gemelli fut accusé d’avoir fait son “Tour du Monde” sans avoir quitté
son fauteuil et sa relation fut prise pour un pur travail de compilation issu
de sa culture, dès le dix-huitième siècle : “voyageur égal menteur”,
“à beau mentir qui vient de loin”, c’est bien connu ! Mais le
dix-neuvième siècle et plus particulièrement de Humboldt ont reconnu sa
véracité[iii].
Déjà, l’abbé Prévot, dans sa fameuse Histoire
Générale des Voyages, se faisait l’écho de ces accusations en défendant
Gemelli, même s’il reconnaissait certes que la route suivie jusqu’à Nanking est
la même que celle de Nieuhof. Mais emprunter le même itinéraire ne relève pas
du plagiat, loin s’en faut. Gemelli lui-même insiste longuement sur
l’importance de proposer au lecteur les routes possibles lorsqu’on pérégrine si
loin :
“Dans le dessein que j’avois de faire réimprimer mon voyage du
Tour du Monde, dont les exemplaires commençoient à devenir rares, il m’a paru
qu’outre les additions curieuses que j’avois préparées pour cette seconde
Edition, il étoit à propos d’y en joindre d’utiles en faveur des Voyageurs; en
leur marquant les différentes routes qu’ils peuvent prendre pour faire ce
voyage, les monnoies & les marchandises dont ils doivent se fournir, &
les dépenses qu’il leur faudra faire pour cet effet.”[iv]
En
voyage, effectivement, Gemelli se dévêt de sa toge juridique et se fait
marchand, seul moyen selon lui à la fois de subsister aussi longtemps en terre
étrangère et de communiquer vraiment avec l’Autre :
“Il est bien certain que l’homme du monde le plus riche ne
pourroit pas faire un si long voyage, sans trafiquer sur la route. S’il se
charge de grosses sommes d’argent, il est à tout moment en risque de les
perdre avec la vie; s’il prend des lettres de change, il arrive souvent par la
grande distance des lieux, qu’il trouve le correspondant ou mort, ou hors
d’état de payer: Mais celui qui emploie son argent en marchandises est exemt de
toutes ces craintes. Il y a plus. Le Voyageur se fournit par là un moyen
naturel de converser avec toutes les Nations; & il n’y en a pas de si
barbares, qu’elles ne fassent accueil à un Marchand qui leur aporte les commodités
de la vie, & qui ne crût en le pillant ou l’outrageant, offenser dans sa
personne le droit des gens, & s’exposer au même traitement par voie de
represailles.”[v]
Le
voyageur est donc marchand pour des raisons liées simultanément à sa
subsistance, à son intégration, aux relations avec l’étranger et à son
instruction ethnologique :
“Il y a donc non-seulement plus de sûreté, mais plus
d’agrément à voyager en qualité de Marchand, pourvû que l’amour du gain ne se
rende pas maître de notre esprit jusqu’à lui faire négliger le véritable profit
que l’on doit recueillir de pareilles fatigues. J’entends par ce profit la
connoissance des mœurs, des coutumes & de la Religion des différens
Peuples, l’observation des choses naturelles, des édifices & autres choses
semblables.”[vi]
Marchander
n’est donc qu’un moyen de servir la curiosité du voyageur cultivé soucieux de
connaître l’Autre, pour celui qui revendique “la noble ardeur de joindre la
hardiesse des entreprises à l’utilité de l’instruction” :
“C’est le fruit que j’ai tâché de tirer de mes longs &
périlleux voyages. Dans le cours pénible d’une vie errante & agitée, j’ai
moins cherché à repaître mes yeux qu’à me former l’esprit & le cœur au
milieu des étranges évenemens dont elle a été remplie, & qui sont tels, que
leur seule idée m’épouvante; j’ai la consolation de n’avoir pas moins travaillé
à mon avantage particulier, que contribué au plaisir de ceux qui en liront
l’histoire.”[vii]
Après
avoir accompli le tour de l’Europe en 1686, Gemelli entreprend donc celui du
Monde. Il commence son voyage le 13 juin 1693 et le finit le 3 décembre 1699.
Sa relation se compose de six volumes, chacun dédié à une partie du monde. Le
sommaire nous donne une bonne vision de son périple :
“Dans le premier [volume], l’Auteur parle des motifs de son
voyage, puis le commençant à Naples, il va tout le long de la Côte de la
Calabre, passe en Sicile, fait voile le long de cette isle jusqu’à Malte, dont
il donne une description fort exacte; il fait la même chose de l’Egypte, où il
arrive ensuite, & là il parle des Pyramides, des Momies, &c. d’où il
passe en la Terre Sainte, à Rhodes, à Smyrne, à plusieurs petites isles de
l’Archipel, à Constantinople, à Andrinople, Bourse, Trebizonde & plusieurs
autre Villes dans sa route pour la Perse; donnant toûjours une petite
description de la Religion, des mœurs, des Antiquitez, &c. des Turcs, &
une Histoire chronologique de leurs Empereurs.
Le second Volume renferme une description très-curieuse de l’Empire de Perse, les distances d’un lieu à un autre, en commençant depuis les Frontières jusqu’à Ispahan, la Cour de cette nation; & de-là jusqu’à Bander-Congo, qui est un Port de mer sur le Golfe Persique. Il parle de leur Religion, de leurs Antiquitez, &c. mais particulièrement des ruines du Palais de Darius, comme aussi des Banians ou Idolâtres. Il donne les figures de plusieurs choses curieuses. Il y découvre quelques fautes de M. Tavernier, comme il fait dans le Volume qui parle de la Turquie, & dans celui des Indes. Il va de-là à Daman qui est la première Ville des Indes où il arrive.
Le troisième Volume commence par Damian, qui appartient aux Portugais; l’Auteur va le long de la Côte, où il parle de tout ce qui appartient à cette Nation-là, comme de Goa, Bazaim, Diou & autres places: comme aussi de ce qui appartient aux Idolâtres & aux Princes Mahométans; il donne une très-vive description de l’extraordinaire Pagode de l’Isle de Salzette; non seulement il décrit, mais il donne aussi les desseins des fruits & des arbres qui les portent; il nous apprend à fonds les superstitions & les coutumes de ces Gentils. De-là il se hazarde d’aller par terre au Camp du Grand Mogol pour nous donner une relation de la personne de ce Prince, de ses enfans, de ses manieres particulieres, de ses vices, de ses richesses, de ses forces, & de plusieurs autres particularitez. Il continue son voyage par mer à la Chine, & il nous fait en même tems d’excellentes descriptions de ces Pays où il a passé pendant un voyage de mille lieues, comme celles de la riche Isle de Ceylan, de la Chersonese d’or, ou la Presqu’isle de Malaca, de ces grandes Isles de Sumatra, & de Borneo, comme aussi de plusieurs autres petites, & des puissans Royaumes de Bengale, Siam, Pegu, Cochinchine, Tunquin, jusqu’à Macao, la première terre de la Chine où il arrive.
Le quatrième Volume fait mention de toutes les Places grandes ou petites par où il a passé en traversant ce grand Empire, en met toutes les distances, décrit tout ce qu’il a vû sur les routes, & toutes les Villes selon qu’elles le méritent, comme aussi les Rivieres, Lacs & Montagnes, particulièrement la grande Muraille de Tartarie, la ville Portugaise de Macao, & tout ce qui en dépend; & la manière de voyager quand on va à la Cour de Peking. Il distingue fort bien entre ce qu’il a vû & ce qu’il sçait de science certaine, & ce qu’il a sçût d’autrui, qu’il n’a pourtant admis que sur de bonnes autoritez, & dont il ne fait mention que pour la satisfaction du Lecteur. Ayant eu l’honneur de voir l’Empereur, il fait une relation de toute cette ceremonie, & de ce qu’il y a vû lui-même du Palais; quant à ce qu’il a de plus, il le tient d’autrui. La maniere dont l’Empereur sort est singulière, qu’un Lecteur curieux ne peut qu’en être satisfait. Il parle encore de la religion des Chinois, de la derniere persécution des Chrétiens, des Antiquitez de l’Empire, du Gouvernement des Cours, &c. mais il a recueilli toutes ces dernieres choses sur de bons Mémoires.
Le cinquième Volume traite très-particulièrement de tout ce qui
regarde les Isles Philippines, ensuite il donne un Journal exact de son long
& terrible voyage à Acapulco dans la nouvelle Espagne, ce qui est
entièrement nouveau; il fait en chemin une description de la Californie;
apportant les raisons qu’on a de croire que le continent Septentrionnal de
l’Amérique est joint avec celui de l’Asie, ou de la grande Tartarie.
Le sixième Volume nous apprend ce qu’il a vû dans la Nouvelle
Espagne; sa route depuis Acapulco jusqu’à Mexico, ce que l’on n’avoit pas encore
vû, & depuis là jusqu’à la Veracruz. Il donne des particularitez des Mines,
de la reduction de la terre minerale, de l’affinement de l’argent, de la
séparation de ce métal d’avec l’or, des conditions ausquelles on tient les
Mines les uns des autres, des Mines Royales, &c. Le tout dans un grand
détail.”[viii]
L’abbé
Prévot retient du voyage autour du monde de Gemelli l’étape chinoise, qu’il
résume dans le chapitre 9 du tome 7 de son Histoire
Générale des Voyages[ix]. Il
classe le Napolitain après les trois fameux jésuites Le Comte (1688), Fontaney
(1688) et Bouvet (1693) et avant Isbrand Ides, ambassadeur de Russie en Chine
(1693), puis Laurent Lange, envoyé de Russie en Chine en 1717. Ce classement
est emblématique : ni jésuite, ni diplomate, Gemelli tranche, comme son
récit, qui ne renvoie à aucune des problématiques usuelles concernant la Chine
à cette époque. Son séjour chinois est ainsi narré dans le tome IV de sa
relation, entre celui sur l’Indostan et celui sur les Isles Philippines :
le voyageur arrive de Cochinchine à Macao, remonte jusqu’à Pékin, puis revient
à Macao pour repartir ensuite vers Manille avec beaucoup de difficultés[x]
avant d’aller en Amérique. Gemelli lui-même, avant Prévot, accorde à la Chine
une place particulière dans son périple. Désireux de ne pas augmenter
l’affliction de son frère à son départ, il
l’assure que son “dessein étoit seulement de visiter la Terre sainte, & de revenir après.” Cependant il avoue qu’il avait résolu :
“de ne me point arrêter qu[‘il] n’eusse vû la Chine, &
qu[‘il] ne fusse instruit par [s]a propre expérience de toutes les choses qu’on
en raconte, qui ne renferment que quelques vérités chargées de quantité de
fables.”[xi]
Nous
avons donc affaire à un juriste, devenu marchand pour servir sa quête viatique,
désireux de transformer son voyage en Chine en instruction et en
démystification. Quel contraste par rapport aux habituels voyageurs en Chine de
cette époque! Comment peut-on être Italien, non jésuite et curieux de
démystifier au lieu de subtilement endoctriner ? Ce ne peut être qu’une
couverture, on est forcément un espion du pape en mission secrète! C’est
exactement ce que vont penser les missionnaires rencontrés par l’auteur. En
1695 Gemelli débarque à Macao, puis de Canton, grâce à l'aide de missionnaires
qui le prennent pour un espion du pape et lui ouvrent ainsi plus facilement
toutes les portes, il se rend à Pékin où il est reçu par l'empereur Kangxi.
La problématique de cette étude pourrait ainsi être triple :
il s’agirait d’abord d’envisager les pérégrinations d'un pseudo espion italien
du pape de Macao à Pékin, puis d’étudier la notion de curiosité culturelle
quand elle n'est ni religieuse ni diplomatique, et enfin d’analyser plus
précisément le regard porté sur la culture chinoise envisagée comme une culture
du spectaculaire, à travers la description des principales grandes fêtes (les
comédies, les fêtes du Nouvel An, la fête de la vache-empereur, la fête des
lanternes, etc.) qui rendent Gemelli-Careri souvent bien euphorique.
Gemelli arrive donc en Chine en pleine querelle entre, d’un côté,
les Vicaires, soutenus par les missionnaires et les catholiques et, de l’autre
côté, les jésuites sur lesquels s’appuie l’Evêque. Pris entre les deux camps et
n’appartenant à aucun, venu de nulle part et sans avoir été annoncé, Gemelli
est alors considéré comme un espion envoyé de Rome :
“Comme j’arrivai dans le temps de ces troubles, tout le monde
crut que j’étois envoyé du Pape, pour m’informer secrètement de tout, les uns
me prenant pour un Carme Déchaussé, les autres pour un Prêtre séculier; &
quoique je fisse tout mon possible pour leur ôter ce soupçon, leur disant que
j’étois Napolitain, que je voyageois pour satisfaire ma seule curiosité, que Sa
Sainteté ne m’avoit pas donné une Bajoque pour faire un tel voyage, & que
la chose dont je cherchois le moins à m’informer, étois celle de leurs
Missions; cependant je ne pûs jamais les désabuser, & ils me dirent, que
depuis que les chemins de la Chine étoient ouverts, on n’y avoit jamais vû de
séculier Italien, & encore moins de Napo-litain. Je leur dis à la fin
qu’ils eussent à visiter mes valises, & que volontiers je leur en donnerois
les cles pour leur faire voir que je n’avois point de telles instructions; mais
tout cela fut inutile, & pendant ce tems-là les Jésuites aussi-bien que les
Cordeliers firent plusieurs consultations au sujet de mon arrivée.”[xii]
Ceci est
valable à Canton comme à Pékin :
“Mon arrivée à Pékin donna le même soupçon aux Jésuites de cet
endroit, qu’à ceux de Canton; parce que j’étois venu à la Cour sans la
permission de l’Empereur, & sans le leur avoir fait sçavoir.”[xiii]
Gemelli a
conscience que son voyage à Pékin ne lui aurait certainement pas été permis
s’il avait été Portugais et que les soupçons sur son pseudo espionnage vont en
sa faveur :
“Ce voyage que j’allois faire à la Cour, n’augmenta pas peu
les soupçons des missionnaires, & acheva de leur faire croire que j’étois
une personne que le Pape envoyoit à la Chine pour s’informer des brouilleries
qui étoient parmi eux. Je crois que ces soupçons facilitèrent mon voyage, qui
est d’ailleurs fort difficile à faire, parce que les Religieux Portugais ne
veulent pas souffrir qu’aucun Européen passe à cette Cour sans leur
consentement.”[xiv]
Gemelli
doit donc se positionner en tant que “curieux” pour justifier le fait qu’il ne
soit pas espion :
“Pendant mon séjour à Nankin, Monseigneur d’Argoli, & les
deux Pères firent ce qu’ils purent pour me détourner d’aller à Pékin, me disant
que les Jésuites Portugais ne vouloient point qu’aucun Européen prît
connoissance de l’état de cette Cour, & que si j’y allois, ils me
rendroient certainement quelque mauvais office. Je leur répondis que je n’y
allois point pour épier les affaires de leur mission, mais que j’étois curieux
seulement de voir cette grande Cour; & que je craignois si peu, que je
voulois prendre mon logement dans le Couvent même de ces Pères.”[xv]
La
curiosité devient alors la notion clé pour éviter l’accusation d’espionnage.
Gemelli veut démontrer que les merveilles chinoises ne sont pas
des fables que le lecteur de son époque a tendance à mettre systématiquement en
doute.
“De tous les préjugés, dont l’homme se laisse obséder: le plus
grand, à mon avis, est celui qu’il a en faveur de sa patrie, & de ses
coutumes. Cela fait que nous regardons ce qu’on nous dit des pays Etrangers
comme des contes faits à plaisir, & que nous en voulons point croire tout
ce qui ne se rapporte pas à notre façon de penser, ou à notre manière d’agir.
D’ailleurs, le peu de bonne foi qu’on rencontre dans la plupart des voyageurs,
autorise notre défiance, & nous les rend tous suspects.
Voilà pourquoi bien des gens traitent de fabuleuses toutes les
merveilles qu’on raconte de ce vaste & riche Empire de la Chine,
s’imaginant que hors de l’Europe, il n’y a rien de magnifique, rien
d’ingénieux; mais qu’ils seroient détrompez, s’ils avoient le courage de
pénétrer dans des climats si reculs, pour voir par eux-mêmes ce qui en est! […]
Pour moi qui n’ai aucun intérêt à surprendre la crédulité du public, & qui
au contraire, n’attens de lui d’autre récompense de mon travail, que la gloire
de lui avoir exposé les choses comme elles sont; je le prie de recevoir avec
confiance ce que je rapporterai dans ce Volume-ci, surtout lorsque je dirai que j’en ai été témoin oculaire”.[xvi]
Il est
donc curieux de tout, parfois à ses dépens de fin gastronome :
“J’avois envie ce jour-là de manger du poisson, que l’on ne vend
pas dans ces quartiers-là, mais que l’on change au poids contre du ris; mes
domestiques Chinois en firent cuire avec une poule, croyant mieux me régaler;
& moi de colère, je fis jetter le tout dans le canal.”[xvii]
A Pékin, il
ne peut certes pas entrer dans les pièces du palais impérial, interdites aux
Européens. Il les décrit donc par ouï-dire, essentiellement à partir du récit
du P. Magaillans et du fameux “Marc Paul”[xviii].
Il a néanmoins l’occasion de voir l’Empereur Cam-Hi, c’est-à-dire le Pacifique,
grâce au P. Grimaldi qui lui explique :
“[le P. Grimaldi] me dit, qu’il y avait ce matin une occasion
favorable pour moi d’entrer avec lui dans le Palais, parce qu’il devoit
présenter à l’Empereur le nouveau Calendrier de l’année 1696. qu’il avoit
composé en Chinois & en Tartare Oriental & Occidental.”[xix]
Impressionné
par la grandeur, le luxe et l’apparat des cours qu’il traverse pour arriver
jusqu’à l’Empereur, Gemelli se prête au cérémonial et aux inclinations et
prosternations de rigueur. Il donne des nouvelles des guerres européennes à
l’Empereur curieux. C’est précisément cette curiosité qu’il lui faut réfréner
pour conserver sa liberté :
“Il me demanda ensuite si j’étais médecin, ou si je me mêlais
de chirurgie, je lui dis que non. Il voulut savoir si je n’entendais pas les
mathématiques, mais je me tins sur la négative, quoique j’en eusse appris
quelque chose dans ma jeunesse : car les pères m’avaient bien averti que
si j’avouais savoir quelqu’une de ces sciences ou de ces arts, il me
retiendrait infailliblement à son service, ce que je ne voulais nullement.
Enfin il nous congédia, et nous nous retirâmes sans aucune cérémonie.”
Gemelli
joue l’ignorance par statégie tout en précisant naturellement à son lecteur
qu’il ne s’agit que d’une feinte, le transformant ainsi en complice
d’aventure : de l’art et des manières de manier la notion de curiosité au
bon moment... Au total, fidèle à son désir de présenter un pays merveilleux et
de remettre en cause l’ethnocentrisme européen, Gemelli propose donc un éloge
de la Chine et des Chinois :
“Si ceux qui inventent le mieux & le plus promptement, ont
l’esprit plus élevé que les autres, les Chinois certainement l’emportent sur
toutes les autres nations; parce qu’ils ont été les premiers inventeurs de
l’Ecriture, du Papier, de l’Imprimerie, de la Poudre, de la Porcelaine, &
de plusieurs autres choses.”[xx]
Il
procède donc à la description des différentes sciences chinoises :
astronomie, astrologie, médecine, architecture, musique, art de la navigation,
imprimerie, etc. Mais afin de ne pas tomber non plus dans le panégyrique, qui
seul peut et doit concerner l’Empereur -voir son portrait élogieux au chapitre
7 : “Belles qualités de Cam-hi Empereur de la Chine”-, Gemelli
module ses considérations. Ainsi, à propos de leurs cérémonies:
“Ces Règles contiennent une bonne partie de leur morale, &
sont si ennuyeuses, qu’il est difficile de déterminer, si on doit compter les
cérémonies des Chinois parmi leurs vertus ou leurs défauts, parce que d”un côté
ils sont si civils & si pleins de complimens, que la Chine mérite le titre
qu’ils lui donnent, de Pays des belles manières; mais de l’autre, il faut dire
qu’il en est des cérémonies comme des odeurs, dont un peu fait plaisir, &
est agréable, mais dont l’excès offense & nuit. Ils en ont un si grand
nombre, que pour les actions les plus indifférentes, il en faut autant que pour
un Sacrifice fort solennel; d’où il arrive que ce qui est à propos, lorsqu’il
est mesuré, devient à charge par l’usage immodéré que l’on en fait.”[xxi]
Trouver
la juste balance entre excès et mesure : c’est là tout l’enjeu même du
classicisme, que Gemelli semble appliquer à la Chine. Or c’est dans la notion
de fête que l’auteur semble pouvoir problématiser cette spécificité fondant
l’identité chinoise. En effet, la fête est par définition à la fois solennité
et marginalité, ordre et désordre, règle et plaisir. Une attention plus
particulière aux fêtes chinoises permet au Napolitain d’interroger le sens de
l’originalité de l’Empire du Milieu.
“Terra festiva”: une
nouvelle vision de la Chine
Après avoir parlé des ouragans qui frappent Macao de juin à
septembre, Gemelli assiste à une comédie.
L’effet de contraste est grand : après la catastrophe, la joie, comme si
le masque emblématique chinois pouvait être rapproché de celui de Janus, de
celui qui unit Démocrite et Héraclite, l’un regardant le monde en riant et
l’autre en pleurant, ou encore du masque binaire de la commedia dell’arte. La
comédie est le signe de la réjouissance collective et individuelle :
“Je fûs voir le Mardi une Comédie Chinoise. Un nombre de
voisins joints ensemble, la faisoient représenter à leurs dépens, au milieu
d’une petite place. Le théâtre étoit assez grand, & contenoit trente
personnes, tant hommes que femmes. Je ne pûs pas les entendre, parce qu’ils
parloient en langue Mandarine, ou de la Cour; cependant, je jugeai par leurs
gestes, leurs tours & leur action, qu’ils étoient habiles. La pièce étoit
mêlée de chants, avec un accompagnement de plusieurs instrumens de cuivre &
de bois. Les habits étoient propres & enrichis de beaucoup de dorures; les
Acteurs en changeoient souvent. La Comédie dura 10. heures, & finit avec
les chandelles; parce que quand un Acte est fini, les Acteurs se mettent à
manger, & fort souvent les Spectateurs en font autant. Le Mercredi, la même
Compagnie représenta une autre pièce dans la maison de l’Oupou.”[xxii]
Plus
tard, à Nankin et plus particulièrement à Chiun-leou, Gemelli visite le plus
grand Pagode et s’arrête encore pour écouter des comédiens :
“Il y avoit de bons Comédiens qui représentoient une pièce
dans la première cour, & un millier de personnes qui les écoutoient debout.
Je m’y arrêtai quelque tems, & fûs voir ensuite la Tour; j’en obtins la permission
par le moyen de quelques Chiappes que je donnai au Bonze.”[xxiii]
Gemelli
remarque que la fête est intimement liée à la boisson. Sans recourir aux
habituels clichés sur l’orgie et au parallèle avec la décadence des Romains,
l’auteur établit le lien fort qui existe entre le fait de boire avec excès et
les notions d’honneur et d’hospitalité :
“Les Chinois disent que c’est la boisson qui fait le plaisir
de la Fête, & non pas le manger. Mais pour pouvoir boire pendant six heures
ou plus long-tems, & conserver le bon sens dont ils ont besoin pour parler
des choses sublimes, ils ont des tasses qui ne sont pas plus grandes que des
coquilles de noix; outre qu’ils ne les vuident pas tout d’un trait, mais à
très-petits coups. […] Leurs verres, quoique petits, sont sur la fin du repas
remplis & vuidés tant de fois, que la cervelle leur tourne. Les femmes du
Maître de la maison sont aux écoutes, pour sçavoir combien il y a de conviés
qui roulent le long des degrés, & s’en divertir après avec leur mari, qui
croiroit n’avoir jamais donné un si bon repas à moins que quelqu’un ne s’en fût
retourné yvre; autrement, il s’imagineroit que sa liqueur ne vaut rien. Mais
dans ces Fêtes, on en force point à boire ceux qui n’ont pas soif, ou de
remplir la tasse d’un homme qui ne peut plus se soutenir; c’est pourquoi on met
de certains écrans devant un chacun, afin de ne se pas voir les uns les autres.
Les Conviés de leur côté, excités par le plaisir de la Fête, & l’envie
d’honorer l’ami qui traite, boivent jusqu’à perdre la raison, & d’autant
plus volontiers, que cette foible liqueur se digère promptement avec un léger
sommeil.”[xxiv]
La fête
est finalement un esprit plus qu’une cérémonie, qui transcende tout rituel, de
bonheur comme de malheur. Ainsi,
“Il est fort difficile aux étrangers de distinguer dans la rue
une pompe funèbre d’avec une nuptiale, y ayant dans toutes les deux des
préparatifs de joie. On trouve la même chose dans la maison; parce que dans
l’une comme dans l’autre on sonne, on met devant la porte de longues perches où
pendent des lumières, des oiseaux & divers ouvrages de soie & de papier
peint de plusieurs couleurs.”[xxv]
La joie
l’emporte donc toujours. Gemelli offre ainsi au lecteur un regard festif sur
une société cérémonieuse. Mais c’est essentiellement dans son chapitre intitulé
“De la nouvelle année des Chinois. De la célèbre Fête des Lanternes” que
Gemelli va développer le motif de la fête, en variant les diverses
interprétations possibles sur le sens à attribuer à ces célébrations. Le voici
alors herméneute interprétant les signes festifs comme éléments symboliques
d’une culture. Il célèbre d’abord la joie chinoise : “J’eus beaucoup de
plaisir le Mardi, en me promenant dans la Ville, la voyant si magnifique-ment
ornée, & toute en joie.”[xxvi] En
ce qui concerne le Nouvel An chinois, Gemelli commence par décrire le culte
voué aux ancêtres pour souligner ensuite que les Chinois
“passent le reste de la nuit à manger, boire, jouer, & à
d’autres plaisirs. Les femmes font le même chose entr’elles: & comme à la
Chine, la communication avec les femmes est si défendue, qu’il n’est pas permis
à un Beau-père (excepté parmi les gens de Qualité) de voir sa Bru, que ce
jour-ci, il profite alors du privilège, & va lui rendre visite avec son
Fils.”[xxvii]
Il
souligne ainsi surtout l’aspect exceptionnel de la fête et les possibilités
relationnelles qu’elle autorise. La Chine, pays fermé, aux règles strictes,
s’ouvre le temps de la fête pour dévoiler une face cachée tout en restant dans
le cadre des cérémonies. Les festivités du Nouvel An chinois entrainent avec
elles une fête de la vache qui étonne Gemelli. Cette fois, la superstition des
Chinois croyant à la métempsychose bovine d’un de leurs Empereurs est qualifiée
de sottise, mais les réjouissances sont néanmoins détaillées.
“Je fûs voir le même matin un Spectacle très-sot selon mon
goût, mais que les Chinois regardent comme quelque chose de grand. Je sortis
par la porte de Lauchin, du côté de l’Orient; je vis une grande vache faite de
terre colorée, & une infinité de Chinois à l’entour, qui, après l’avoir
rompue à coups de bâtons, (en quoi consiste la solemnité de la Fête) se
battoient à coups de poings à qui auroit les petits veaux de la même matière,
qui étoient dans son ventre. Ils font cela en mémoire d’un de leurs anciens
Empereurs, que le peuple croit avoir été changé en vache, qui n’étoit propre
que pour le labourage. On me dit qu’ils alloient ensuite présenter ces veaux
aux Grands Seigneurs, dont ils recevoient de bons présens.”[xxviii]
Enfin, le
plus long passage herméneutique de la relation de Gemelli est consacré aux
multiples interprétations de la Fête des Lanternes. Elle s’étale sur huit pages
et propose quatre interprétations, toutes pétries de la culture propre au
voyageur classique :
– la
fable mythologique antique de Céres et Proserpine adaptée à la chinoise :
“Le lundi, je fûs voir dans la Ville tous les préparatifs que
l’on faisoit pour la Fête de Loum-chouen ou des Lanternes, qui est une des
principales des Chinois; & effectivement je vis des inventions
surprenantes. Les Chinois disent qu’elle fut instituée peu après
l’établissement de leur Empire, à l’occasion d’un Mandarin chéri du peuple par
sa vertu, qui perdit un soir sur le bord d’une rivière, une fille qu’il aimoit
tendrement : que dans le tems qu’il la cherchoit le long de la rive, tout
le monde, qui prenoit part à sa peine, le suivit avec des flambeaux allumés
& des lanternes, en pleurant avec lui; mais qu’après l’avoir cherchée
long-tems de tous côtés, comme Cerès fit sa fille Proserpine, ils ne la pûrent
jamais trouver.”
– l’aventure décadente d’un despote vivant selon la philosophie
du carpe diem :
“Les Lettrés dans leurs Livres donnent une autre origine à
cette Fête; l’attribuant à Kié, dernier Empereur de la famille Hia, homme
cruel, & entièrement livré à ses passions, qui régnoit il y a 3500 ans. Ce
Prince se plaignoit un jour, à celle de ses femmes qu’il aimoit le mieux, que
les plaisirs de cette vie duroient trop peu; qu’il n’y avoit qu’un petit nombre
de personnes qui vécussent cent ans; que le tems passant si rapidement, il ne
pouvoit pas se rassasier de ces plaisirs qu’il aimoit tant; & enfin, que la
nature étoit inhumaine & cruelle. Voici ce qu’elle lui répondit: “Je sçais
un moyen pour prolonger le tems de la manière dont vous le souhaitez. Faites
d’un mois un jour, d’une année un mois; & ainsi les années, les mois &
les jours seront si longs, qu’après avoir vécu dix ans, vous aurez eu le
plaisir d’en avoir vécu cent”. Elle persuada ensuite à ce Prince sensuel &
insensé de bâtir un Palais sans fenêtres, afin que la lumière n’y entrât point.
Après l’avoir fait orner d’or, d’argent, de pierres précieuses & de meubles
riches, elle y fait venir quantité de jeunes garçons & de belles filles
tout nuds, & s’y ensevelit enfin avec son mari: ne se servant point
d’autres lumières que de celles des flambeaux, & d’une infinité de
lanternes; au lieu du Soleil, de la Lune & des Planetes. L’Empereur Kié y
demeura un an avec cette femme impudique, s’adonnant à toutes sortes de
plaisirs deshonnêtes, dans un oubli entier de leur Cour & de leur Empire.
Ces folies, & plusieurs cruautés, furent cause que ses Sujets
secouèrent le joug, & mirent sur le Trône Kimtam, Chef d’une nouvelle
Famille. Après la mort de Kié, on détruisit son Palais, on cassa toutes ses
Ordonnances, on garda seulement la Fête des Lanternes, moins pour lui faire
honneur, qu’en mémoire du changement Politique.”
– les
aventures alchimiques d’un Empereur esthète crédule :
“L’on conte encore qu’il y a environ 2000 ans, un autre
Empereur de la dixième Famille, apellé Tam, avoit tant de confiance en un
Charlatan de la Secte des Taosous, (dont la profession est de tromper le monde
avec des secrets de Chymie; promettant une infinité d’or & d’argent, une
vie presque éternelle, & de faire voler en peu de tems les montagnes d’un
lieu dans un autre) qu’il lui dit un jour l’envie qu’il avoit de voir les
Lanternes allumées de la ville de Yam-cheou, dans la Province de Nankin, qui
étoient les plus fameuses de l’Empire, & dont l’on devoit faire la Fête la
nuit suivante. Le Magicien répondit, qu’il lui feroit faire ce voyage; qu’il
verroit les Lanternes; & qu’il reviendroit à la Cour pendant la même nuit,
à son aise, & sans être exposé à aucun danger. Effectivement, on vit en
l’air, peu de tems après, des Chariots & des Trônes faits de nuages; qui
paroissoient être tirés avec une grande vitesse par des Cygnes. L’Empereur,
l’Impératrice, & grand nombre de Dames & de Musiciens du Palais,
arrivèrent en un clin d’œil à Yam-cheou, & couvrirent toute la Ville avec
les nuées qui les portoient. Le Monarque vit les Lanternes; & pour
récompenser les Habitans du plaisir qu’il avoit eu dans leur Ville, il leur fit
donner une Sérénade par ses Musiciens, & s’en retourna aussi vite qu’il
étoit venu. Il arriva un mois après un Courrier de cette Ville, avec des
Lettres qui contenoient ce qui s’étoit passé chez eux cette nuit-là.”
– le
style de vie d’un Empereur louis-quatorzien dans une sorte de Versailles à la
chinoise :
“Ils disent enfin qu’il régnoit il y a 500 ans un Empereur de
la Famille Soum, qui avoit coutume de se faire voir tous les ans dans ce
tems-ci, pendant huit nuits, familèrement à tous les Grands Seigneurs, auxquels
il donnoit le plaisir de belles Lanternes, de feux d’artifice & de Musique
agréable dans son Palais.”
La fin du
chapitre 3 est ensuite consacrée à une très longue description de la Fête des
Lanternes, mettant l’accent sur les masques, la musique, les couleurs de la
soie, les comédies, la danse, les mimes, l’art des feux d’artifice, etc. L’auteur
insiste sur l’aspect général, voire quasi démocratique de ces
célébrations :
“Le Peuple passe toute la nuit à regarder ces Spectacles, au
son des Instruments qu’ils ont apportés dans leur compagnie, qui se forme de
parens & d’amis. Il n’y a point de maison, pauvre ou riche, qui n’ait cette
nuit-là quelque Lanterne pendue dans la cour, dans la maison, ou aux fenêtres.
[…] Il me semble que si l’on pouvoit voir tout l’Empire d’un seul coup d’œil,
de quelque lieu fort élevé, il paroîtroit tout illuminé, n’y ayant personne à
la ville, à la campagne, ou sur les rivières, qui n’allume des Lanternes
peintes & faites de différentes façons, & qui n’ait des feux d’artifice
qui représentent diverses figures d’animaux.”
Un Empire
illuminé : voici donc bien la vision que propose Gemelli de la Chine à son
lecteur. Les symboles de la lumière sont bien exploités de façons multiples,
nous l’avons vu avec la Fête des Lanternes, et elle devient ici encore plus
largement emblématique : l’Empire du Milieu, ou le milieu entre deux
siècles et deux esthétiques, entre les cours européennes d’apparat luxueusement
baroques et classiques (Versailles, Venise, Rome, Salamanque, Munich, etc.) et
les Lumières d’un nouveau siècle illuminé par la raison. Ici la Chine illuminée
par les feux d’artifice propose la vision réjouissance d’une “terra festiva”
ou d’un pays des merveilles lumineux.
En fait, Gemelli loue surtout plus généralement les mœurs
éclairées, gracieuses et parfois efféminées des Chinois par opposition avec la
rudesse des Tartares, en ramenant leur délicatesse à un art de vivre à la fois
festif et esthète. C’est ce qui pour lui détermine l’idée de “culture”.
Dans l’étape chinoise de Gemelli-Careri, comme dans l’ensemble de
sa relation autour du monde, nous avons donc affaire à un récit classique,
contenant tous les topoi de la
littérature de voyage. La grande originalité de ce texte vient surtout du fait
qu’il nous révèle le premier regard de touriste, de voyageur du tour du monde
par agrément, développant de fréquentes descriptions, d’un curieux indifférent
aux querelles jésuites, enclin à mettre davantage l’accent sur la dimension
culturelle et festive de la Chine. Gemelli pose sur l’Empire du Milieu un
regard d’esthète essentiellement. Ainsi, lorsqu’il tente d’expliquer la raison
d’être des tours anciennes, il choisit la solution purement artistique :
“Les Chinois sont de différentes opinions touchant la raison
pour laquelle on les a bâties. Les uns disent que c’étoit pour y mettre des
sentinelles, afin de découvrir l’ennemi; d’autres, pour faire des observations
astronomiques; mais pour moi je crois que l’intention des premiers qui les ont
fait élever, a été d’embellir les Villes, d’autant plus qu’on les place presque
toujours proche des portes, afin qu’elles frapent les yeux de ceux qui entrent.”[xxix]
Mais
c’est ce regard d’esthète qui semble bien comprendre l’esprit chinois si
radicalement “autre” pour un Italien classique et si curieusement lumineux pour
un précurseur des Lumières. La fameuse “crise de la conscience européenne”[xxx]
passe par cette découverte.
Sylvie
Requemora
Centre
de Recherches sur la Littérature des Voyages
Université
de Provence
[i] Cette étude est la version écrite d’une communication prononcée les
28 août et 1er septembre 2001 lors des colloques de Shangaï (SISU) et de
Beijing (Peking University), en collaboration avec le C.R.L.V. et le Ministère
des Affaires étrangères. Que le professeur François Moureau trouve ici
l’expression de mes remerciements les plus chaleureux.
[ii] Voyage du tour du monde,
traduit de l’italien, de Gemelli Careri, par M.L.N., Nouvelle édition augmentée
sur la dernière de l’Italien, & enrichie de nouvelles Figures. Tome
quatrième. De la Chine. A Paris, chez Etienne Ganeau, Libraire, rue S. Jacques,
aux Armes de Dombes, .VII. Avec approbation & Privilege du Roy, 537 p.
Bibliothèque de la Méjanes (Aix-en-Provence), cote: ANC / D 182; Bibliothèque
de l'Institut (Paris), cote : S in-8 115.
[iii] L. Cadière, Les Européens
qui ont vu le vieux Hué. Gemelli Careri, Extrait du Bulletin des Amis du Vieux Hué, n° 3, juillet-septembre 1930, p.
1-2.
[iv] Voyage du tour du monde,
traduit de l’italien, de Gemelli Careri, op.cit., vol I, livre I, incipit
p. 1-2.
[v] Ibid., p. 2.
[vi] Ibid., p. 3.
[vii] Voyage du tour du monde,
traduit de l’italien, de Gemelli Careri, op.cit., tome I, chap. II, p.
19-p. 20.
[viii] Voyage du tour du monde,
traduit de l’italien, de Gemelli Careri, op.cit. Sommaire des six volumes
du voyage du Tour du Monde de Gemelli, tome I, p. xiv-xvii.
[ix] Antoine François Abbé Prévost, Histoire Générale des Voyages, La Haye, 1747-1762, tome 7. chap. XI
“Voyage du Docteur Jean-François Gemelli Careri à la Chine. 1695”,
p. 260-296.
[x] Voyage du tour du monde,
traduit de l’italien, de Gemelli Careri, op.cit., tome V, p. 4 : “M’étant
déterminé à passer de Macao aux Isles Philippines sur la Patache Espagnole
chargée d’étoffes de soie, dont j’ai parlé dans le volume précédent, j’essuyai
ensuite les périls du plus pénible voyage que l’on puisse s’imaginer; puisque
pendant l’espace de sept mois, je souffris de continuelles & effroyables
tempêtes”.
[xi] Voyage du tour du monde,
traduit de l’italien, de Gemelli Careri, op.cit., tome I, p. 26.
[xii] Voyage du tour du monde,
traduit de l’italien, de Gemelli Careri, op.cit., tome IV, p. 35-36.
[xiii] Ibid., p. 142.
[xiv] Ibid., p. 42-43.
[xv] Ibid., p. 103.
[xvi] Ibid., p. 1-2.
[xvii] Ibid., p. 47.
[xviii] Ibid., p. 140.
[xix] Ibid., p. 135.
[xx] Ibid., p. 290-291.
[xxi] Ibid., p. 330.
[xxii] Ibid., p. 11-12.
[xxiii] Ibid., p. 98.
[xxiv] Ibid., p. 339-340.
[xxv] Ibid., p. 347.
[xxvi] Ibid., p. 498.
[xxvii] Ibid., p. 499.
[xxviii] Ibid., p. 502.
[xxix] Ibid., p. 61.